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Richard Chow devant son taxi.© Alexis Buisson

« Comment rembourser mes dettes ? » : le quotidien d'un chauffeur de taxi new-yorkais

Le confinement se poursuit à New York. Pour les légendaires « yellow cabs » de la ville, la pandémie s'ajoute à la crise financière. Sur place, les chauffeurs doivent s'adapter.

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« Vivement le vaccin ! » Comme beaucoup de New-Yorkais, Richard Chow est impatient de retourner au travail. Cet Américain originaire de Birmanie est chauffeur de taxi jaune, ces véhicules mythiques qui font l'image de la Grosse Pomme dans le monde entier. Âgé de 62 ans et atteint de problèmes cardiaques et de diabète, il a préféré lever le pied pour éviter de contracter le virus, même si les conducteurs de « yellow cabs » font partie des « travailleurs essentiels » à pied d'œuvre depuis le début du confinement en mars. « Je fais partie des populations à risque. Si je tombe malade, je suis mort », raconte ce père de famille, à quelques pas de son taxi garé dans le Chinatown de Manhattan.

Même s'il avait été en pleine forme, Richard Chow aurait eu bien du mal à gagner sa vie dans le New York d'aujourd'hui. Avec les ordres de confinement maintenus au moins jusqu'au 28 mai, il n'y a plus grand nombre dans les rues pour héler les taxis. Ces derniers ont largement disparu du paysage depuis le début de la crise sanitaire. Le nombre de trajets a chuté de 94 % entre début mars et le 4 mai, passant de 506 000 à 28 500, selon le gestionnaire de la plus grande flotte de taxis. Les véhicules qui sont encore sur les routes participent à un programme de livraison de repas mis en place par la ville pour permettre aux chauffeurs de passer cette période difficile. « Les taxis qui continuent à travailler font entre 50 et 70 dollars par jour, une fois que vous retirez le prix de l'essence, souligne Richard Chow. Le jeu n'en vaut pas la chandelle. Je ne veux pas perdre la vie et ma famille ne peut pas me perdre. »

La pandémie intervient au plus mauvais moment pour des chauffeurs déjà en situation fragile. Un grand nombre d'entre eux se sont fortement endettés pour acquérir leur licence (médaillon), dont le prix s'est envolé à un million de dollars dans les années 2000. Synonyme de revenus stables, la licence a été présentée comme la clef du rêve américain auprès de cette main-d'ouvre d'immigrés. Mais avec la concurrence des VTC Uber et Lyft, les chauffeurs ont éprouvé de plus en plus de difficultés à rembourser leurs emprunts. Richard Chow le sait : quinze ans après avoir acheté sa licence, il doit encore 400 000 dollars aux banques. Il y a deux ans, son frère, Kenny, qui conduisait aussi un taxi jaune, a fait partie des chauffeurs qui se sont suicidés, étranglés par la pression financière et psychologique.

« Je suis passé du rêve américain au cauchemar américain », lance Richard Chow, qui dit encore « avoir le cœur brisé » par la disparition de son petit frère, qu'il a encouragé à devenir chauffeur. Les deux hommes, qui ont trois autres frères et cinq sœurs, sont venus ensemble à New York en 1987 en quête d'opportunités et ont occupé des boulots de livreurs avant de se mettre au volant de taxis jaunes.

Espoir

Depuis qu'il a cessé le travail le 14 mars, Richard Chow touche environ 800 dollars par semaine en allocations chômage. Sa famille vit sur le salaire de son épouse, fonctionnaire à la poste. Tant que la crise durera, il n'est pas tenu de rembourser ses prêts, mais il se serre la ceinture. « J'achète les produits les moins chers quand je fais les courses, dit-il. Je ressens la pression de devoir retourner travailler : comment rembourser mes dettes ? Et je dois payer les études de mes deux enfants… »

Le retour au travail ne se fera pas sans crainte. Il a recensé au moins 50 chauffeurs de taxis jaunes qui sont décédés des suites du Covid-19. Heureusement, son taxi est équipé d'une partition entre les sièges avant et arrière, ce qui permettra de réduire le contact avec les passagers. Il s'est aussi équipé de masques, de gants et de gel hydroalcoolique. « Quand la ville de New York rouvrira, beaucoup de personnes ne voudront pas prendre les transports en commun et se rabattront sur les taxis. À l'inverse, il y aura beaucoup plus de chômeurs et d'entreprises fermées. Et il y a des chauffeurs de taxi qui voudront faire autre chose, avance-t-il. Il ne faut pas compter sur un retour à la normale avant l'an prochain. » La normale, pour Richard Chow, c'est de travailler sept jours sur sept, en espérant que la Ville décide un jour d'intervenir pour éponger les dettes de ses taxis jaunes. « J'ai 62 ans. Personne d'autre ne voudra m'embaucher, sourit-il, derrière son masque. Je ne peux pas faire autre chose. »