Ces gouvernements qui ne s’endettent plus… réellement
by Salima BarraganSelon Arthur Jurus de Landolt & Cie, les risques liés à l’endettement public seraient plus faibles que par le passé.
Le confinement va coûter cher aux Etats. Très cher même. Pour compenser la détérioration de leurs comptes publics, ses derniers s’endettent davantage en émettant des obligations…dont les rendements sont négatifs. «Les Gouvernements sont dorénavant payés pour émettre des titres», constate Arthur Jurus, Chef économiste chez Landolt & Cie SA. «Payés» par des banques centrales engagées dans leurs programmes de rachats illimités d’obligations souveraines. Entretien.
Le coût de la crise sanitaire pèse sur les finances des États. Sont-ils tentés de monétiser leur dette?
La monétisation est une augmentation de l’endettement des États directement financée par la banque centrale qui distribue les liquidités, récupère les titres qu’elle annule à son bilan, enregistrant ainsi la perte. L’opération récente de la Banque Centrale d’Angleterre s’en rapproche mais elle n’est pas définitive car le Trésor britannique remboursera l’intégralité du montant emprunté. Il n’y a donc pas à proprement parler de monétisation de la dette publique actuellement.
En revanche, les banques centrales rachètent des titres dont les rendements sont négatifs…
Oui, et ces rachats illimités de titres souverains par les banques centrales nécessiteront de les réinvestir systématiquement. Les États ne rembourseront jamais les titres émis mais seulement les intérêts…majoritairement négatifs! Les Gouvernements sont donc dorénavant payés pour émettre des titres sans s’endetter réellement! Les risques liés à la hausse de l’endettement public en 2020 sont donc beaucoup plus faibles que lors des précédentes années.
La BCE est favorable à une consolidation du secteur bancaire. Peut-on envisager une consolidation à l’échelle européenne?
Le vice-président de la Banque Centrale Européenne s’est prononcé en faveur d’un mouvement de consolidation pour améliorer la profitabilité du secteur bancaire mis à mal par les taux négatifs et par sa situation de surcapacité. La transformation digitale nécessite également de nouveaux investissements. On compte encore 6’000 banques en Europe contre 4’900 aux États-Unis. La concentration du secteur a donc pris du retard. Cependant, les autorités de régulation restent prudentes car une concentration du secteur implique également davantage de risque systémique. Des consolidations nationales sont donc plus probables, d’autant plus que les coûts d’une coordination intra-européenne sont élevés en raison de la spécificité des réseaux des banques de détails.
Quels pays seraient-ils les plus concernés par de tels mouvements de concentration?
L’Allemagne qui compte 1’600 banques contre 550 en Italie ou 400 en France est le pays le plus concerné. Son système très fragmenté, entre banques de développement, banques publiques, banques privées et banques coopératives, explique cette différence vis-à-vis de ses voisins. Les cinq plus grandes banques allemandes ne représentent que 30% des actifs. En France et en Italie, ce ratio atteint 50% alors qu’il s’élève à 70% en Espagne. De plus, les banques coopératives allemandes seront certainement les plus exposées à des mouvements de concentration. Plus nombreuses et moins profitables, elles sont davantage vulnérables à l’accélération du crédit de consommation, une branche porteuse de risque systémique.
Alors que les taux réels négatifs se répercutent sur le marché du crédit, faut-il pour autant s’en détourner?
Les taux réels négatifs se généralisent mais l’histoire nous a enseigné qu’elle ne présage pas d’une correction sur les marchés obligataires. La baisse des taux est d’abord structurelle en raison de l’accumulation d’épargne. Elle s’est ensuite accélérée à cause des nouvelles injections de liquidité des banques centrales. Leurs bilans structurellement élevés deviendront la norme, empêchant ainsi toute normalisation des taux. Ces mécanismes qui prévalaient pour les dettes publiques s’appliqueront dorénavant aussi à l’endettement privé.
Malgré les interventions de la Fed, comment expliquez-vous le phénomène de raréfaction du dollar sur les marchés internationaux?
Jusqu’à fin février, la raréfaction du dollar relevait exclusivement du marché interbancaire américain. Mais la crise a internationalisé ce phénomène et de nombreuses entreprises très endettées en dollars se sont retrouvées à court de liquidités. Durant la dernière décennie, l’endettement des entreprises non-financières en dollar a augmenté de 10 trillions. C’est cinq fois plus que les interventions menées par la Fed au cours des dernières semaines! Le déséquilibre persistant entre l’offre et la demande de la devise américaine amène la Fed à poursuivre ses injections hebdomadaires de 150 milliards et ses opérations de swaps avec les banques centrales. Le risque de liquidité, notamment des pays émergents, continuera à soutenir le billet vert.