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Les personnes qui ont perdu un proche sans avoir pu faire leur deuil subiront peut-être, ultérieurement, un contrecoup. KEYSTONE

«Comme une libération avec sursis»

Le semi-confinement va laisser des traces psychologiques au sein de la population.

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Un récent sondage de l’Université de Bâle, mené auprès de 10 000 personnes, montre une hausse marquée des syndromes dépressifs parmi les répondants. Quels effets psychologiques le semi-confinement a-t-il eus sur la population? Entretien avec Pierre Vallon, psychiatre et président de la Fédération suisse des médecins psychiatres-psychothérapeutes.

Quelles peuvent être les conséquences psychologiques du semi-confinement pour la population à court terme?

Pierre Vallon: Paradoxalement, il semble plus facile d’être confiné que semi-confiné. Dans le premier cas, la situation est claire. Dans le second, beaucoup d’incertitudes règnent, notamment en raison du risque de contracter le virus étant donné que l’isolement n’est pas total. L’assouplissement en cours engendre un sentiment de «libération avec sursis», notamment pour les personnes de 65 ans et plus qui sont toujours invitées à rester à la maison. Il y a donc à la fois la joie de retrouver ses proches, tout en sachant que le danger est toujours présent.

Et à long terme?

De manière générale, une angoisse larvée devrait subsister en raison de cet ennemi invisible qu’est le coronavirus. Mais ma crainte principale concerne les personnes dont des proches sont décédés en EMS ou aux soins palliatifs, sans qu’elles aient pu en prendre congé. Les effets du semi-confinement sur les processus de deuil seront à mon avis assez importants. Autre conséquence: au sein de certains couples, les tensions se sont accrues. En revanche, la plupart des enfants ont vécu le semi-confinement comme une période bénie, avec des parents constamment présents pour eux.

Quel impact sur les personnes particulièrement vulnérables?

Les patients que je reçois n’ont dans un premier temps pas trop mal réagi. «Je suis confiné dans ma tête depuis des années», me disait ainsi l’un d’eux. J’ai même constaté que le semi-confinement avait un effet stimulant sur certains des malades. Mais cela s’est vite estompé et ils sont désormais aussi angoissés que les autres.

«Je m’attends à une hausse des états dépressifs auprès des personnees âgées»

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Pierre Vallon

J’observe en outre que certaines personnes n’osent plus sortir de chez elles et vivent en isolement complet. Je m’attends également à une hausse des états dépressifs auprès des personnes âgées qui se sont souvent senties abandonnées. Enfin, il faudra se préoccuper de toutes les victimes de maltraitance – notamment au sein de certaines familles – dont l’accompagnement a été interrompu.

Qu’en est-il du stress? Chez certaines personnes, il devrait avoir fortement diminué durant le semi-confinement…

C’est vrai. La baisse de la pression professionnelle a permis à beaucoup de gens de se détendre. Mais vu la mentalité suisse fortement axée sur la performance au travail, je ne pense pas que cet effet soit durable. On assistera à un retour à la case départ.

Quelles mesures seront nécessaires dans le domaine de la santé mentale ces prochaines années?

La densité des psychiatres en Suisse est suffisante. En outre, l’intégration des psychologues dans le système de soins permettra de répondre à la demande. Sur notre site internet, nous répertorions les adresses utiles pour demander de l’aide.

Parmi les effets positifs observés, une grande solidarité s’est fait jour. Dans quelle mesure cette conséquence est-elle durable?

Cette pandémie représente sans doute l’événement le plus marquant pour notre génération. Il y aura un avant et un après. La gravité de cette crise aura pour effet une revalorisation des liens sociaux. Le semi-confinement a paradoxalement rapproché les gens. Pour de nombreuses personnes âgées, voir les jeunes leur venir en aide a été une expérience très positive.

Pour trouver de l’aide dans votre région: www.psychiatrie.ch