«Ségur de la santé»: pour Olivier Véran, le plus dur commence
A peine arrivé avenue de Ségur, Olivier Véran a dû gérer une des pires crises sanitaires que la France ait jamais connue. C’est pourtant aujourd’hui qu’il entre dans le dur. L’expert sanitaire saura-t-il enfiler les habits politiques du ministre et s’installer dans le petit cercle de la macronie ?
by Matthieu DeprieckNommé ministre des solidarités et de la santé le 16 février 2020, Olivier Véran ouvre ce lundi les négociations autour de l’avenir du système de santé français. Cette semaine, il présentera également deux projets de loi pour préparer la réforme de la dépendance.
Un Véran matin, midi et soir. Pendant deux mois, la posologie prescrite aux Français fut à la hauteur de la crise sanitaire subie. Le ministre de la Santé, tout juste nommé, inconnu du grand public, était partout. « Il est arrivé, a enchaîné les JT sans faire une faute. On a eu l’impression que c’était Federer », s’enthousiasme Matignon.
Son action à la tête du ministère ne commence pourtant que ce lundi. Face aux syndicats du monde soignant, Olivier Véran ouvre le « Ségur de la santé » avec une impressionnante pile de dossiers sur son bureau. En six semaines, il doit panser toutes les plaies d’un système qui souffre depuis des années. Le ministre veut aller très vite « pour ne pas laisser retomber le soufflet. » Les travaux devront être achevés au plus tard le 14 juillet. « Il faut nourrir l’espoir, faire preuve de radicalité et lutter contre les corporatismes », énumère son entourage
Olivier Véran remet tout en jeu. Sidérés par l’ampleur d’une épidémie imprévue, les Français s’en étaient remis à son style pédagogue et à son débit de mitraillette. La macronie avait fait de la courbe de propagation du Covid-19 dessinée de sa main sur le plateau de BFM TV un poster accroché au mur des bons coups de com. L’institut de sondage Ifop lui octroyait une progression de 37 points de notoriété en un seul mois dans une enquête pour Paris Match et Sud Radio. Seul Jean-Marc Ayrault, lors de sa nomination à Matignon en 2012, avait fait mieux. Avec 52 % de bonnes opinions, il talonnait Édouard Philippe et devançait l’ensemble du gouvernement. En un mois, il a perdu 12 points. « Un simple rééquilibrage, dédramatise Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’Ifop. Il doit maintenant répondre à un mouvement social et endosser seul le costume de celui qui incarnera les promesses présidentielles alors que la santé est devenue la première préoccupation des Français. »
«On va voir maintenant s’il arrive à convaincre les syndicats qu’il peut réformer l’hôpital alors qu’il était très impliqué dans la rédaction de la loi Ma santé 2022»
Résistera-t-il aux oppositions, aux syndicats et aux impatiences ? Jeudi dernier, des soignants, rejoints par des élus de la gauche radicale ont manifesté à Paris. Ils ont promis de descendre dans la rue toutes les semaines jusqu’à ce qu’ils obtiennent « du lit et du fric ». « Il sait qu’il n’a pas le droit à l’erreur, qu’il faut remettre le soignant au centre du système. La crise pèse au-dessus de sa tête comme une épée de Damoclès : il ne peut pas se louper », juge un conseiller du ministère de la Santé.
Combats médiatiques. Le député LR du Loiret Jean-Pierre Door, 18 projets de loi de finances de la sécurité sociale (PLFSS) au compteur, a travaillé sur les trois derniers avec Olivier Véran, alors rapporteur général : « C’est un homme que j’apprécie, dynamique, ambitieux, à qui tout semble réussir. On va voir maintenant s’il arrive à convaincre les syndicats qu’il peut réformer l’hôpital alors qu’il était très impliqué dans la rédaction de la loi Ma santé 2022. » Il va lui falloir effacer ce qu’il a en partie écrit pendant la campagne présidentielle et son mandat de député LREM. « A l’Assemblée, il était le correspondant d’Agnès Buzyn. Il aura du mal à expliquer aux syndicats qu’il veut augmenter le budget de l’hôpital alors qu’il a fait l’inverse. Il se prépare à des lendemains difficiles », prédit le député LR de la Sarthe, Jean-Carles Grelier.
A-t-il les épaules pour mener cette mission ? Le député LREM de Charente, Thomas Mesnier, qui lui succédera cette semaine au poste de rapporteur général du budget de la Sécu, n’en doute pas une seconde : « C’est un fin négociateur. » Il l’a montré trois années durant à l’Assemblée. Chaque texte était prétexte à défendre une mesure médiatique. Il y eut la taxe « sodas », la retraite des Chibanis – anciens soldats maghrébins de l’armée française -, le remplacement dans la constitution de la « sécurité sociale » par « protection sociale » : « A chaque fois, il s’opposait au gouvernement avec beaucoup de finesse et réussissait à attirer l’œil des médias, confie un ancien collaborateur. Il est devenu un interlocuteur identifié des ministres mais aussi de leurs administrations. »
Ses collègues députés ont vu de près le futur ministre louvoyer. « Il a un sens inné pour savoir dans quelle direction souffle le vent », considère Jean-Carles Grelier. Ses alliés du MoDem en ont fait l’expérience. A l’automne 2017, il fait voter contre l’avis de sa prédécesseure Agnès Buzyn une taxe sur les boissons sucrées. Deux ans plus tard, le député MoDem du Loiret Richard Ramos veut dupliquer le dispositif et l’appliquer à la charcuterie qui contient du sel nitrité. Contre l’avis d’Olivier Véran, il obtient gain de cause en commission. Dans l’hémicycle, le futur ministre se rallie. Agnès Buzyn s’oppose à cette nouvelle taxe. Olivier Véran reprend sa position contre. L’amendement est rejeté. « Il sera un grand ministre de la Santé s’il reste courageux, sans être sous la pression des uns et des autres », estime aujourd’hui Richard Ramos.
L’expert et le politique. « C’est un prudent, persuadé que mieux vaut un tu as que deux tu auras », résume Sarah El Haïry. La députée MoDem de Loire-Atlantique se souvient d’un autre épisode. A l’automne 2019, elle veut exonérer le secteur associatif du conditionnement de la prime Macron à un accord d’intéressement négocié dans les entreprises. En commission des Finances, Bercy s’y oppose. Son amendement sous le bras, elle part en commission des Affaires sociales, qui l’adopte. Dans l’hémicycle, rebelote. La secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Economie, Agnès Pannier-Runacher s’y oppose. Olivier Véran ferraille. Après deux ou trois interruptions de séance, un accord est trouvé. « Sur ce sujet, il a pris une position politique, pas scientifique », salue Sarah El Haïry.
«Attention aux faux pas, prévient un cadre de la majorité. Son duel avec Anne Hidalgo sur l’ouverture des parcs et jardins peut lui être défavorable. Pour l’instant, il a la chance de ne pas avoir été associé au problème des masques»
Sous sa casquette d’expert, Olivier Véran conseille aux Français de se laver les mains tandis que sous celle du politique, il appelle des députés tentés de quitter le groupe La République en marche pour fonder « Ecologie, démocratie, solidarité ». Il les retient parce qu’il a besoin d’eux dans la majorité. Il a aussi joint les têtes pensantes de l’opération. A Aurélien Taché et Matthieu Orphelin, il a dit comprendre leur démarche, sans juger leur émancipation, à rebours de la ligne défendue par les chapeaux à plumes de la macronie, de Richard Ferrand à Stanislas Guerini. Il dit lire tous les textos qu’on lui envoie et maintient le contact avec ses soutiens. Ce réseau politique est une chance extraordinaire, estime le ministre, qui prévoit d’ici l’été un renouvellement pour moitié de son cabinet, son directeur ayant déjà été remplacé par Jérôme Marchand-Arvier, ancien des cabinets de Xavier Bertrand.
La politique, sport de combat, expose. « Attention aux faux pas, prévient un cadre de la majorité. Son duel avec Anne Hidalgo sur l’ouverture des parcs et jardins peut lui être défavorable. Pour l’instant, il a la chance de ne pas avoir été associé au problème des masques. » « Il a un côté boxeur. Quand il est dans l’arène, il veut marquer le coup », observe un conseiller. « Depuis qu’il est ministre, quand il vient à l’Assemblée, il fait le kéké. Sur le banc, Il se tourne vers les uns, les autres, fait des clins d’œil, répond les mains dans les poches. Il a une attitude hâbleuse un peu comme Christophe Castaner au début », note le député LR du Lot, Aurélien Pradié. Olivier Véran peut se sentir grisé. Le 31 juillet 2018, plusieurs députés LREM fêtent bruyamment la fin de session à la buvette de l’Assemblée nationale. La sauterie se termine dans le bureau du député, obligeant les gendarmes à intervenir en raison du bruit.
Ambition. Pressé, il met le pied dans la porte de la macronie. Il n’est pas convié au dîner de la majorité autour d’Emmanuel Macron et de ses plus proches soutiens mais profite d’une heure et demie avec le chef de l’Etat pour parler des sujets sociaux. « Sociaux, pas sanitaires », précise son entourage. Le ministre de la Santé est aussi celui des « solidarités », un trou resté béant dans la raquette de la macronie. Il le sait, comme il sait que l’écologie est un terrain en jachère. « Il l’a clairement à l’esprit là où sa prédécesseure était plus réticente sur tout ce qui touchait aux problématiques de santé-environnement. Sur le sujet des produits phytosanitaires, on sait que portes et chakras sont ouverts au ministère de la Santé », veut croire un conseiller du ministère de la transition écologique.
Olivier Véran a de l’ambition. Pour aller où ? Plus près du président pour le faire réélire en 2022, ou en Auvergne-Rhône-Alpes pour être tête de liste aux régionales de 2021 ? Il suit toujours ce qui se passe dans sa circonscription et plus largement dans la région. « Aujourd’hui, il n’y a pas dix mille figures identifiées capables d’être candidat face à Laurent Wauquiez », assure un ancien collaborateur. Olivier Véran reste aujourd’hui conseiller régional. Au cas où il sortirait indemne des prochaines semaines.