Le mois où Forlán était le meilleur joueur de la planète
by Florian CaduLors de la Coupe du monde 2010 disputée entre le 11 juin et le 11 juillet, le niveau de jeu de Diego Forlán atteint son paroxysme. Un pic de carrière qui intervient après une saison de haute volée avec l'Atlético de Madrid, et qui fait certainement de l'Uruguayen l'attaquant le plus fort du monde sur cette période.
Joueur de la compétition. Buts marqués : cinq (seuls Thomas Müller, David Villa et Wesley Sneijder font aussi bien), dont trois hors de la surface de réparation (exploit plus réalisé dans un même tournoi depuis Lothar Matthäus, en 1990). Homme du match : trois fois (seul Sneijder fait mieux). Auteur d'une passe décisive, d'un tir au but et de la plus belle réalisation. Présent dans le 4-4-2 de la « All-star team » , en compagnie de Villa. Tels sont, sur le papier, les faits d'armes observables au premier regard de Diego Forlán lors de la Coupe du monde 2010.
Quelques mois plus tard, la star de la Celeste terminera à la cinquième place du classement du Ballon d’or avec 7,61% des suffrages (plus du double par rapport à Cristiano Ronaldo, sixième, et environ trois fois moins que le lauréat Lionel Messi). Mais qu'on se l'avoue : entre le 11 juin et le 11 juillet de cette année célébrant les 31 ans du blond, le meilleur attaquant de la planète n'est ni argentin ni portugais. Non, il semble bien être uruguayen et avoir été recalé par Nancy au début de sa carrière.
Exploits personnels & confiance en soi
Durant ce mois de folie, l'Uruguay évolue en 4-4-2 à plat ou en 4-3-3 (pouvant, pourquoi pas, être considéré comme une sorte de 4-4-2 losange). Dans le premier schéma, majoritairement utilisé, le binôme de pointe s'appelle Forlán/Suárez et un certain Edinson Cavani est excentré à gauche. Dans la seconde option (employée pour battre l'Afrique du Sud, le Mexique et la Corée du Sud), le fabuleux Diego est situé plus en retrait – presque dans un rôle de numéro dix – en soutien de ses deux partenaires offensifs. Et c'est lui qui, quasiment à chaque fois, brille.
Aussi serein que décisif et aussi propre que combatif, DF se montre sous son meilleur jour en affichant un profil ultra complet. Les trois premiers buts de sa nation, par exemple ? Un chef-d’œuvre de trente mètres, un penalty et une magnifique transversale pour amener l'action fatidique. L'égalisation en quarts de finale, face au Ghana ? Un coup franc direct, suffisamment vicieux pour être mal interprété par Richard Kingson. Celle devant les Pays-Bas, en demies ? Une praline du gauche, prouvant son ambidextrie des pieds. Le dernier pion de sa nation, inscrit contre l'Allemagne ? Une volée superbement contrôlée, rebondissant au sol avant de toucher les filets d'Hans-Jörg Butt.
Tirer le positif de l'égoïsme
En réalité, Forlán ne touche plus terre à ce moment-là. La Liga l'avait vu venir, elle qui vient de filmer 18 caramels forlanesques au cours d'un exercice où l'Atlético de Madrid a terminé en neuvième position. Les coupes d'Europe aussi, elles qui ont contemplé sept goals de l'artiste. « Quand j’arrive, je sais que c’est un attaquant avec du vécu, mais il faut savoir qu’il avait pas mal galéré avant d’être titulaire dans un club européen. À Manchester, il ne jouait jamais, rembobine Florent Sinama-Pongolle, son concurrent à partir de 2008-2009. Quand je l’ai connu à l’Atlético, c’était quelqu’un de très égoïste et autocentré. » Un des ingrédients de la recette de sa réussite, puisque le bonhomme plante à... 72 reprises toutes compétitions confondues (pour... un seul assist), en deux saisons.
« Il frappait de toutes les positions, ça faisait but. Pied droit, pied gauche, volée, demi-volée, tir classique... Aucun problème. Dès qu'il avait le ballon, ça pouvait partir. C'était abusé... se souvient Nabil Baha, ancien striker de Málaga qui l'a croisé sur les pelouses du championnat espagnol. En plus de ça, il fournissait des efforts extraordinaires parce que ce n'était pas un pur attaquant qui attendait le ballon dans la surface. Avec le Kun Agüero, qui n'était pas encore le monstre d'aujourd'hui, ça faisait très très mal et c'était le principal danger. » Impression confirmée par Grégory Arnolin, alors défenseur au Sporting Gijón : « Ouh là là, il y avait du beau monde en Liga à l'époque ! Zlatan Ibrahimović, Karim Benzema, Villa... Mais lui, il était vraiment hors norme et d'une intelligence folle. Il se retournait rapidement et se plaçait toujours à la limite du hors-jeu, il savait exploiter l'espace comme personne. Il attirait les défenseurs hors de leur zone, pour ensuite plonger dans la profondeur. »
Arrête-le, si tu peux
Des qualités exploitées de manière assez inédite, comme si Forlán voyait l'avenir et savait ce qu'il convenait de faire dans n'importe quelle situation, et qui installaient le bordel dans toutes les arrière-gardes. « Si j'avais réussi à trouver la clé pour le maîtriser, il ne nous aurait pas fait aussi mal ! En vérité, je la cherche encore, se marre Arnolin, notamment battu 3-2 par les Colchoneros en janvier 2010 avec un combiné but-passe dé du Diego. On essayait de le sécher, mais il nous échappait tout le temps, bien qu'il ne soit pas intrinsèquement un mec qui va vite. »
Et de continuer : « C'était un tueur ! Même quand tu le voyais peu dans le match, il surgissait pour marquer. Cette année-là, tout lui réussissait. Si tu ajoutes le facteur chance à la qualité dont il disposait, tu comprends alors pourquoi il était l'un des meilleurs du monde. » La stratégie pour le contenir, selon Baha ? « Un : faire attention à ses appels dans le dos. Deux : ne pas lui laisser d'espace. Trois : ne pas le laisser frapper. Le coach n'avait même pas à nous rappeler tout ça, on savait qu'il avait la capacité de dégainer à tout moment et qu'il n'avait pas besoin de lever la tête pour savoir où se trouvaient les cages. »
Plus fort dans une équipe plus faible
Des solutions adaptées quand le monsieur était encore à Villarreal, mais qui ne fonctionnaient plus quand il est arrivé chez les Matelassiers : « En fait, il était plus mature lorsqu'il a débarqué à Madrid. Paradoxalement, ça a encore mieux marché à l'Atlético pour lui personnellement alors que son Villarreal était une meilleure équipe avec Juan Román Riquelme, Robert Pirès, Marcos Senna ou encore Diego Godín. Tout le monde le recherchait, il était devenu l'élément numéro un. »
Conséquence directe : tout a rejailli au mondial 2010, où sa formation sud-américaine a pu profiter de sa forme exceptionnelle mêlée à sa classe naturelle et à son expérience. « Durant mes séances, il m'arrive de montrer à mes joueurs des vidéos de lui tirées de cette Coupe du monde » , confie Baha, devenu entraîneur et qui se rappelle encore avoir échangé son maillot avec Forlán. Dans sa maison, le Marocain possède donc la tunique du meilleur footballeur de l'été 2010.