Snowpiercer saison 1 : critique avec en-train sur Netflix
by Mathieu JaborskaOn sait à quel point l'adaptation de la bande-dessinée de Jacques Lob et Jean-Marc Rochette par Bong Joon-ho avait eu du mal à trouver le chemin des écrans américains dans sa version finale. Freiné par les Weinstein (toujours eux), le film a tout de même réussi à s'ancrer dans l'imaginaire collectif américain et à y rencontrer un succès d'estime mérité. La preuve : la chaine TNT en a profité pour en faire une série à la production anarchique, avec Daveed Diggs, Jennifer Connelly et un sacré budget. Chez nous, tous les épisodes sont disponibles sur Netflix. Un ticket de première classe pour un voyage mouvementé.
TRAIN DE LUXE
Alors que la superproduction Game of Thrones est terminée et qu’une grosse partie du public sérievore mondial s’est habitué à l’idée de blockbuster sur petit écran, chaque chaîne ou service fait des pieds et des mains pour se lancer sur le créneau et faire l’évènement grâce à une franchise capable de tenir sur plusieurs saisons.
Avec Snowpiercer, TNT a mine de rien fait un choix très malin. Spectaculaire en soi, le principe à l’origine de la bande-dessinée puis du film permet de ménager ses effets (et ses dépenses) tout en maintenant le spectateur dans un univers particulièrement attachant. A bord du Transperceneige, train immense et dernier refuge de l’humanité découpé en classes sociales précises, chaque wagon est un décor différent, malléable à souhait et très adapté à un tournage en studio. Quant à la contextualisation, elle passe par des plans extérieurs intégralement numériques, et diablement iconiques. Quoi de plus vendeur que cette locomotive imposante, flanquée d’un W plein de sens, et fendant la neige recouvrant désormais notre monde ?
Mieux encore : la franchise en elle-même a été marquée par une œuvre cinématographique désormais bien ancrée dans la pop-culture, et encore plus maintenant que son metteur en scène a marqué l’histoire des Oscars, avec Parasite. Ingénieuse, la série table sur la frustration du cinéphile, qui aurait bien aimé voir l’intégralité du train dévoilé sporadiquement (et logiquement) dans le long-métrage. Ça tombe bien, le format choisi est parfaitement adapté à une exploration des ellipses précédentes.
PLUS C'EST GROS, PLUS ÇA PASSE
Malheureusement, faire démarrer un tel mastodonte demande une production lourde, et un certain contrôle des producteurs, d’où les nombreux cabotinages en coulisses, les remerciements cordiaux et autres séances de reshoots. La conception chaotique de Snowpiercer a été éprouvante, redoutable, et ça se voit. Remaniée de nombreuses fois, la narration développée ici est pourtant un modèle d’efficacité, n’ayant pas son pareil pour nous convaincre que oui, un dernier épisode ne coûtera rien.
Totalement adaptée à la mentalité « binge-watching » motivant la création de ces gros morceaux en 10 actes, la série s’appuie donc sur des ressorts mécaniques typiques de ce genre de production : les personnages unilatéraux, représentant sans trop de profondeur un aspect de l’univers déployé, se multiplient plus vite que les kilomètres avalés par le train ; et les sous-intrigues amoureuses se mêlent habilement aux enjeux plus globaux, à savoir tout de même la survie de l’humanité.
Il ne faut donc pas y chercher une quelconque forme de subtilité. Snowpiercer débarque avec de très gros sabots pour enrôler son public et rendre obligatoire la vision de la 2ème saison. D’ailleurs, le dernier épisode est dédié tout entier à l’amorce de cette suite déjà pensée (on devine le rôle de Sean Bean), comme une sorte de cliffhanger géant, piège inévitable dans lequel on tombe sans déplaisir. Le pilote n’est pas moins rentre-dedans : forcément embêté par l’idée d’une révolution étalée sur une saison entière, le récit fait d’une enquête policière classique un substitut, avec un flegme assumé. Mais contrairement à ce que dit la critique américaine, et notre premier bilan, le Cluedo ferroviaire n’emplit pas complètement les 10 heures de trajet.
Au milieu de ces arcs et sous-intrigues savamment arrangés pour capter l’attention, deux personnages plus complexes que les autres émergent pour cristalliser les enjeux généraux, et servir de référents dans ce scénario sur-explicatif, enclin à prendre la relève de nos cerveaux. Mélanie et Layton (Jennifer Connelly et Daveed Diggs), figures opposées en tous points, forcées de progressivement se ressembler, sont les seuls garants d’une complexité presque totalement sacrifiée sur l’autel du divertissement haut de gamme. La mise en scène, d’un classicisme attendu, n’élève pas autant l’ensemble. Le duo motive l’univers superficiel qui se déploie autour d’eux, univers pourtant visuellement impressionnant.
SOCIAL JUSTICE WARRIORS
C’est tout le paradoxe qui caractérise cette saison. En reprenant à la lettre l’esthétique tranchée du film plutôt que la noirceur du trait de Jean-Marc Rochette, elle exhibe à chaque instant une direction artistique super soignée, mais renie la force du propos des deux œuvres dont elle est adaptée. Petit détail représentatif : la violence, bien présente mais quasi-intégralement numérique, à la fois proche et éloignée des jets de sang viscéraux du long-métrage.
Non pas que les problématiques qui faisaient le sel du film soient totalement oubliées, mais elles se morfondent en toile de fond, avec tout ce qui ne concerne pas directement les deux héros du train. Le concept d’écosystème social interdépendant, incroyablement mis en image dans la version de Bong Joon-ho, est presque rabaissé au rang de décor.
Les quelques bonnes idées qui gravitent notamment autour du personnage campé par Jennifer Connelly, gardienne d’un opium du peuple aussi gênant que nécessaire, sont inédites, mais trop localisées pour ne serait-ce qu’essayer de rivaliser avec la fable anarchique et tragi-comique sortie en 2013. Le coupable ? Un environnement bien trop pauvre, et bien trop dédié à la cause de l’attention du spectateur.
Et si les aventures des deux protagonistes permettent de brosser le portrait d’un état dystopique très classique mais pertinent sur quelques points, Graeme Manson oublie d’y ajouter l’élément clé de la réflexion qui se loge dans la parabole du train : le train lui-même !
Qu’il est étrange de voir les plans de la mécanique orner le générique d’introduction, alors que le moyen de transport n'est ici qu'un décor. L’histoire du Transperceneige est intimement liée à la notion de progression à travers les strates sociales, nécessité magnifiée par la caméra mobile de Joon-Ho. Pourtant, la série choisit de ne faire dudit train qu’un carcan purement visuel, et une machine à séquences spectaculaires obligatoires ; au point de mépriser totalement son organisation géographique interne grâce à un « sous-train » pratique pour téléporter n’importe comment les personnages dans les 1 001 wagons, au gré des caprices du scénario.
En l’état, Snowpiercer est juste un récit d’anticipation classique se déroulant par le plus grand des hasards dans un train, dont on ne comprend de fait même pas vraiment la conception. Finalement, après 10 épisodes, il est toujours difficile de se représenter l’agencement des zones, surtout qu’on voit rarement les personnages passer d’un wagon à l’autre, faute d’une réalisation plus audacieuse. C’est surtout un effet secondaire du mode de fabrication de la série, faisant de chaque wagon un décor aux proportions parfois complètement incohérentes. Forcément, les thématiques sociales sont bien moins intéressantes, tuées dans l’œuf par l’obsession de TNT, bien décidée à faire de sa série un immanquable pour un moment.
La lutte des classes promise, forcément pas déplaisante à suivre, se déroule dans un référentiel qui interdit toute réflexion plus poussée sur l’organisation de la société. Parfait pour occuper un dimanche soir, moins agréable si on veut réfléchir aux problématiques soulevées par ce fichu train.