Sara Bellali : Le Maroc a exploité toutes ses ressources matérielles et humaines.
Le seul objectif a été de sauver la vie des citoyens
by Youssef LahlaliSara Bellali est une scientifique marocaine,
engagée dans la lutte contre le Coronavirus au niveau de l’IHU Méditerranée Infection Marseille au sein
de l’équipe du célèbre professeur Didier Raoult.
Dans cet entretien, elle nous livre ses impressions.
Le président américain Donald Trump a surpris le monde entier cette semaine en déclarant qu’il prenait de l’hydroxychloroquine de façon préventive. Qu’en pensez-vous ?
Trump a été convaincu de l’efficacité de ce médicament, il a demandé à son médecin l’autorisation pour qu’il prenne de l’hydroxychloroquine comme traitement préventif. Il a dit qu’il avait reçu plusieurs rapports positifs de médecins américains qui l’avaient utilisé pour traiter leurs patients atteints de Covid-19. Ils ont obtenu des résultats très satisfaisants. Il faut savoir que ce traitement a été donné à des milliers de personnes avant, surtout des militaires et des gens qui voyagent en Afrique. Ce traitement n'est pas toxique, il a des effets indésirables comme tous les médicaments. Le patient ne doit pas le prendre sans l'autorisation de son médecin. C’est un médicament ancien que tout le monde connaît très bien.
Allons-nous reprendre une vie normale en France avec le déconfinement ou notre vie sera-t-elle différente de celle avant la pandémie et pourquoi ?
Bien sûr, la vie ne sera pas comme avant la pandémie, les gens aujourd’hui sont obligés de respecter certaines règles de distanciation sociale surtout avec les personnes âgées : port du masque, interdiction de regroupement …Ces précautions vont continuer jusqu'à la disparition de ce virus.
Le professeur Didier Raoult a déclaré que le Covid-19 allait disparaître vers le 19 mai comme tous les virus saisonniers. Avez-vous d’autres éléments en ce sens ?
Le professeur Raoult s’est basé sur l’allure des virus respiratoires dans le passé ; la plupart des infections à virus respiratoires ont la courbe typique en forme de cloche avec un développement, un pic et une diminution. Il a basé ses déclarations sur le travail effectué à Marseille dans ce domaine et sur les résultats dans d’autres pays comme la Corée du Sud et l’Allemagne. Ces pays ont réussi à stopper la propagation de ce virus. Une récente étude à Singapour a montré aussi que le développement de l'épidémie dans plusieurs pays suit la même courbe en forme de cloche Si on parle de la situation de la ville de Marseille, on a moins de cas positifs, le taux de mortalité par le Covid-19 est très stable et le taux de personnes guéries est en hausse.
Vous travaillez à l’Institut hospitalo-universitaire des maladies infectieuses de Marseille (IHU Méditerranée Infection), sur un protocole Covid-19, afin de déterminer les facteurs (virologiques, génétiques) impliqués dans la maladie. Des pistes sérieuses pour faire face au Covid-19 peuvent-elles déjà être dégagées ?
Il y a toute une équipe qui travaille du côté recherche ou du côté clinique jour et nuit sur le Covid-19. On ne connaît pas grand-chose sur ce virus qui est encore nouveau. Chaque jour nous apprend des choses sur cette pandémie. Il y a des études publiées et d’autres en cours dont les résultats vont bientôt être publiés. Les études de l’IHU ont évalué l’efficacité du fameux protocole hydroxychloroquine en association avec un antibiotique, l’azithromycine in vitro sur des cellules infectées par le virus au laboratoire. Ces études ont montré l’efficacité du protocole en stoppant la réplication du virus dans la cellule. Ainsi d’autres études in vivo, c’est-à-dire chez l’humain, ont montré que les gens qui prennent cette bithérapie guérissent au bout de 6 jours .Ceci se traduit cliniquement par une diminution de la charge virale.
Au laboratoire, en ce moment, nous cultivons plus de 1.500 souches issues de différents patients qui ont été séquencées aussi. L’analyse en cours de tous ces génomes va faire l’objet d’une publication afin de mieux comprendre ce virus, de voir s’il y a des souches différentes issues du même virus et de faire une comparaison avec les génomes des souches détectées dans les autres pays ainsi que les souches de Wuhan en Chine.
Pourquoi cette polémique en France sur l’utilisation de la chloroquine défendue par le professeur Raoult ? Qui a raison ? Y aurait-il des conflits de méthodologie, d’approche, de connaissances dans la recherche médicale ?
C’est la grande question en France. En général, les essais cliniques suivent une règle méthodologique stricte : il faut faire des essais précliniques, comme tester les molécules chez les animaux, et après des études cliniques. Cela prend beaucoup de temps et implique plusieurs phases de 1 à 4 ; l’essai clinique doit être randomisé et en double aveugle, ni le médecin ni le patient ne savent le traitement.
Le professeur Raoult a fait son premier essai clinique en urgence, c'est-à-dire dans une situation de crise. On ne va pas attendre les essais cliniques qui vont durer je ne sais combien de temps. On attend toujours le résultat de l’essai clinique discovery qui est le plus grand essai européen. Les méthodologistes ont critiqué l’essai du docteur Raoult car il n’a pas été fait dans les règles internationales. Le plus important, c’est que ce protocole a montré son efficacité via le taux de mortalité à Marseille comparé au reste de la France. Si on regarde les pays qui ont utilisé le même protocole, on remarque une baisse de la mortalité. Les dernières statistiques ont montré que 51% d’entre eux utilisent l’hydroxychloroquine associée à l’azithromycine.
En ce moment, il y a à peu près 192 essais cliniques sur l’hydroxychloroquine associée parfois à l’azithromycine enregistrés sur le site officiel clinicaltrial.gov. C’est un site où sont enregistrés tous les essais cliniques dans le monde validés après par les agences nationales ou internationales comme l’ANSM ou la FDI. Aucun d’entre eux n’est encore terminé. Certains ont atteint la phase 3 ou la phase 4.
Récemment, une étude a été lancée aux Etats-Unis menée par The National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NIAID) au sujet de l’hydroxychloroquine associée à l’azithromycine.
Suivez-vous la situation du Covid-19 au Maroc ? Comment la voyez-vous en tant que virologue ? Qu’en pensez-vous de la gestion de cette crise sanitaire par les autorités marocaines ?
Je ne suis pas encore virologue, je suis microbiologiste. Bien sûr, je suis l’actualité du Maroc jour par jour, je pense que le Maroc a pu éviter le pire. On aurait pu avoir le même scénario qu’en Italie et en Europe. Les décisions préventives prises par le Maroc, à savoir le confinement strict, l’acquisition du stock de l’hydroxychloroquine de Sanofi, entre autres, ont été très efficaces. On parle aussi de la fabrication de masques et de respirateurs pour la réanimation au niveau local. On a fait un travail remarquable pour stopper l’épidémie. La stratégie du Maroc contre le Covid-19 a été saluée par tout le monde. Je suis fière d’être marocaine, je le dis et je le redis, bravo le Maroc !
Le Maroc a exploité toutes ses ressources matérielles et humaines. Le seul objectif a été de sauver la vie des citoyens et non l’économie, comme d’autres pays ont choisi de le faire.
Est-ce que l’Institut hospitalo-universitaire des maladies infectieuses de Marseille collabore avec les universités ou les instituts du Maroc ?
Pour le moment, il n’y a pas de collaboration avec l’institut où je travaille, mais je vais travailler sur ce projet après la fin de cette crise sanitaire. Je vais mener cette collaboration entre l’équipe marseillaise et une équipe marocaine, cela fait partie de mes objectifs.