Une application mobile pour la santé mentale du personnel soignant
by Stéphanie Marin - La Presse canadienne et La Presse canadienneVoir des patients mourir, avoir des horaires épuisants, avoir peur d’attraper le coronavirus et de tomber malade : le personnel hospitalier est lui-même vulnérable pendant qu’il est au front pour combattre la COVID-19. Des chercheurs montréalais lancent une application pour téléphone intelligent afin de les aider à surveiller leur santé mentale pour passer à travers la crise — mais aussi pour la suite.
Car l’idée est aussi de recueillir des données pour brosser le portrait de la santé mentale du personnel soignant en période de pandémie afin de développer une aide adéquate pour l’avenir.
Bref, il ne faut pas oublier de prendre soin de ceux qui prennent soin de nous.
Dans une lettre ouverte publiée fin mai, le Dr Nicolas Bergeron, psychiatre, chercheur au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM), avance « prudemment » que 5 % à 10 % du personnel soignant pourrait être affligé par un trouble du stress post-traumatique.
Avec son collègue Steve Geoffrion, chercheur au Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, il a lancé une application mobile d’autosurveillance des réactions de stress, dans le cadre d’un projet de recherche. C’est M. Geoffrion qui a développé l’application pour un projet sur la détresse psychologique des pompiers, qui a été adaptée pour le projet en cours sur le personnel médical.
Ils souhaitent donc recruter 300 participants parmi les employés du CHUM, du CIUSSS de l’Est-l’Île-de-Montréal et du CIUSSS de la Capitale-Nationale.
Leur but est double : recueillir des données afin de pouvoir à terme développer des façons d’aider le personnel soignant, en identifiant qui est plus à risque, mais aussi quelles situations laissent plus de marques.
Ils veulent aussi aider les travailleurs de la santé dès maintenant — pendant la lutte contre la pandémie.
L’application devrait leur permettre de prendre un certain recul, d’arrêter quelques instants pour réfléchir à comment ils se sentent et, s’il y a lieu, prendre une pause ou demander de l’aide.
« Pour leur donner le pouvoir d’agir eux-mêmes sur leur santé mentale », a indiqué en entrevue le Dr Bergeron.
Dans le vif de l’action, le personnel peut ne pas avoir le temps ni être en mesure de reconnaître ses propres symptômes de stress — anxiété, insomnie, dépression, détresse psychologique — et de les apaiser.
Des recherches ont déjà suggéré que l’autosurveillance des réactions de stress pourrait diminuer la détresse psychologique chez les personnes exposées à des événements extrêmement stressants.
Sauf qu’aucune étude n’a encore évalué le potentiel des applications mobiles d’autosurveillance pour les travailleurs de la santé et le personnel de soutien affiliés à un établissement de santé, souligne le Dr Bergeron, qui est aussi président de Médecins du Monde Canada depuis 2006.
« Mais on pense que l’autosurveillance peut être apaisante. »
Chaque semaine, pendant trois mois, les participants répondront à une série de questions portant entre autres sur leur santé psychologique, leur exposition à des événements critiques et au stress, ainsi que sur le soutien social qu’ils ont reçu.
En cas de détresse significative détectée par l’application, la personne sera invitée par une notification à contacter les services de soutien psychosocial mis en place dans son milieu de travail ou en contactant la ligne 1 866 APPELLE, une ligne de prévention du suicide.
Les données sont confidentielles et rien n’est partagé, tient à souligner le Dr Bergeron : « C’est zéro intrusif. » Il se réjouit du fait qu’environ 100 personnes ont déjà levé la main pour participer au projet.
Les données fournies par les participants pourront donner aussi le portrait de la détresse psychologique dans un milieu de soin donné.
Dr Bergeron prône des interventions précoces auprès des travailleurs de la santé : la prévention, dit-il, « est plus efficace que de ramasser quelqu’un qui est en détresse depuis des mois ».
Le projet de recherche est subventionné par le ministère de l’Économie et de l’Innovation du Québec.