«En matière de "revenge porn", il y a tout ce qu'il faut dans la loi»
La diffusion de la vidéo à caractère sexuel présentée comme celle de Benjamin Griveaux tombe sous le coup de la loi, rappelle l'avocat Eric Morain. Les auteurs de «revenge porn» et tous ceux qui relayent les contenus risquent deux ans d’emprisonnement et 60 000 euros d’amende.
by Chloé Pilorget-Rezzouk«Ma famille ne mérite pas cela, personne ne devrait subir une telle violence. […] Je ne souhaite pas nous exposer davantage quand tous les coups sont désormais permis.» Ce vendredi matin, le candidat LREM Benjamin Griveaux a annoncé le retrait de sa candidature à la mairie de Paris, après la diffusion d’une vidéo à caractère sexuel qu'il aurait envoyée à une jeune femme avec laquelle il échangeait. Son avocat, Richard Malka, a indiqué qu’il réfléchissait aux suites judiciaires à donner à cette «atteinte à la vie privée». La vidéo a été mise en ligne par l’artiste russe Piotr Pavlenski (rencontré par Libération en 2016) qui affirme avoir voulu «dénoncer l’hypocrisie» de l’ancien porte-parole du gouvernement dont le discours «s’appuie en permanence sur les valeurs familiales». Mais cette diffusion tombe sous le coup de la loi, rappelle l'avocat pénaliste Eric Morain, spécialiste du cyberharcèlement.
L’activiste qui revendique la diffusion de cette vidéo a indiqué la tenir d’une «source» qui avait une relation consentie avec Griveaux – ce qui reste à confirmer. Que dit la loi sur le revenge porn ?
Cette infraction a été créée par la loi du 7 octobre 2016, intitulée «loi pour une République numérique», avec l’article 226-2-1 du code pénal. Celui-ci punit le fait «en l’absence d’accord de la personne pour la diffusion, de porter à la connaissance du public ou d’un tiers tout enregistrement ou tout document portant sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel, obtenu, avec le consentement exprès ou présumé de la personne ou par elle-même».
Avec le revenge porn, on ne s’attache qu’à la question de la diffusion : c’est-à-dire à la diffusion sans le consentement de la personne, quand bien même la vidéo intime aurait été faite et transmise de façon volontaire. Sur l’échelle des peines, c’est un délit puni de façon plutôt élevée puisque l’article prévoit deux ans d’emprisonnement et 60 000 euros d’amende. C’était une demande très forte des associations de violences faites aux femmes, car dans 90% des cas de revenge porn, les victimes sont des femmes. Aujourd'hui, il y a tout ce qu’il faut dans la loi pour agir.
Depuis la création de cette infraction, 20 condamnations ont d'ailleurs été prononcées, selon nos informations. Que risquent ceux qui relaient sur les réseaux sociaux cette vidéo intime ou l’article l’ayant divulguée, à l’instar du député Joachim Son-Forget ou de l’urologue et polémiste Laurent Alexandre ?
C’est équivalent à une nouvelle publication, donc c’est la même infraction : ils encourent la même peine.
L’avocat de Benjamin Griveaux a annoncé qu’il engagerait des poursuites. Quelles peuvent être les suites judiciaires de l'affaire ?
En matière d’atteinte à la vie privée, il faut une plainte préalable de la victime pour que le parquet puisse enquêter. Nul doute que ce sera le cas. La question est de savoir si cette vidéo a été transmise par la personne à laquelle il l’a envoyée ou s’il a été victime d’un piratage de son compte. Auquel cas, cela viendrait ajouter un délit au délit : soit une intrusion illégale dans un système informatisé.
Une des difficultés rencontrées par les victimes de cyberharcèlement est d’effacer les traces…
Oui. Aujourd’hui, nous laissons des traces numériques – volontaires ou involontaires – considérables. Même si le règlement européen sur la protection des données [RGPD, ndlr] et le droit à l’oubli ont amélioré les choses, la mise en œuvre reste très compliquée, fastidieuse et méconnue. Par conséquent, les victimes qui en ont les moyens préfèrent largement s’offrir les services de sociétés dites de «nettoyage». Qui, en réalité, ne nettoient rien du tout mais créent des centaines, voire des milliers de pages web pour faire en sorte que des résultats que l’on ne veut pas voir apparaître soient relayés dans les pages 3-4-5, celles où 0,01% des utilisateurs se rendent.
Quelles sont les conséquences pour les victimes de revenge porn ?
Dans «violation de la vie privée», il y a les quatre lettres du mot «viol», ça ne peut pas être considéré comme autre chose. En outre, il y a une implication considérable de toute une famille, lorsqu'on se présente à une telle élection : cela va toucher ses enfants, sa femme, ses parents s’ils sont encore en vie, ses amis, ses militants… Tous ceux qui croyaient en lui. C’est de l’ordre de la déflagration.
Que pensez-vous de la réaction de ceux qui taclent le comportement du candidat LREM, relevant pourtant de la stricte vie privée ?
Mais qui est irréprochable ? Ce discours des purs, ça me rappelle la phrase de Charles Péguy : «Ils ont les mains propres, mais ils n’ont pas de mains.» On peut avoir une appréciation, pour le coup, strictement morale des choses. Mais la morale de la République, moi, je ne sais pas ce qu’elle est. En revanche, je connais la loi de la République. C’est du même acabit que de dire à une victime de viol qu’elle n’avait pas à se promener à 2 heures du matin toute seule.
Enfin, cette affaire est peut-être aussi un signal de ce qu’est devenue notre vie politique. Aujourd’hui, on va chercher ce type d’arguments, le ricanement, le clash, la petite phrase, etc. Jusqu’à preuve du contraire, Benjamin Griveaux n’a commis aucune infraction. C'est lui la victime, mais il se retrouve à devoir partir. Triste constat.