A Idlib, 500.000 enfants sont piégés par le froid, la faim et les bombardements aveugles
by Caroline HickLe chiffre est à peine croyable. Inimaginable. 500.000 enfants ont dû fuir leur domicile depuis le 1er décembre 2019 dans la région d’Idlib (nord-ouest de la Syrie). C’est l’équivalent de l’ensemble de la population de la province de Namur. Avec eux, 300.000 adultes, dont une majorité de femmes.
Selon le bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU (BCAH), c’est l’une des plus graves crises humanitaires qu’a connues la Syrie depuis le début de la guerre, en 2011. "Il s’agit du plus grand déplacement de la pire guerre de notre génération", déplorait mercredi Jan Egeland, secrétaire général du Norwegian Refugee Council et ancien conseiller de l’ONU pour la Syrie. Depuis le mois d’avril 2019, 1,2 million de civils ont fui les combats dans cette région, selon l’ONU.
L’exode ou les bombardements
Qui sont ces déplacés ? Des civils, qui ont fui les villes et les banlieues d’Idlib et d’Alep, pilonnées par les forces du régime de Bachar al-Assad et de son allié russe. Depuis le mois de décembre, elles sont reparties à l’assaut de cette région, dernier fief djihadiste et rebelle qui échappe à leur contrôle.
Leur méthode est tristement connue : les bombardements n’épargnent rien ni personne : ni les logements, ni les hôpitaux, ni les écoles, ni les voitures des habitants qui fuient. Plus de 200 personnes ont déjà été tuées sous les bombes depuis le début de l’année et 72 centres de santé ont dû fermer leurs portes. "On quitte notre maison à cause de l’armée", explique un petit garçon âgé d’environ 5 ans. "L’armée exécute ceux qui restent ici."
Terrorisés ou tout simplement à la rue, plus de 800.000 civils ont dès lors abandonné leur ville ou leur village pour trouver refuge dans des zones relativement épargnées plus au nord, souvent près de la frontière turque. "Des villes entières ont été vidées alors qu’un nombre croissant de civils fuient vers le nord, vers des territoires considérés comme plus sûrs mais qui sont en train de rétrécir rapidement", a mis en garde le Bureau de la coordination des affaires humanitaires. La Turquie, elle, a fermé sa frontière depuis plusieurs années pour éviter un afflux de réfugiés syriens sur son territoire. Elle en compte déjà 3,7 millions.
Dans un camp de fortune aux abords de la ville d’Azaz, non loin de la frontière turque, les enfants, petits bonnets sur la tête, toussent, les pieds dans la neige et parfois sans même un manteau. "Nous sommes 27 familles réparties dans 14 tentes", explique Mohammed, déjà prêt à repartir. "Nos affaires sont encore dans la voiture. Nous n’avons pas de bois, la situation est très difficile. Aucun de nous ne peut louer un logement, ici les propriétaires demandent 100 ou 200 dollars pour nous loger, mais nous n’avons pas cet argent."
La riposte des groupes rebelles fait aussi des victimes, une trentaine depuis le début de l’année selon l’ONU.
Morts de froid
La communauté humanitaire le confesse : elle est totalement débordée par l’urgence de la situation, en plein hiver, alors que les températures plongent parfois sous la barre des -10 degrés la nuit. Et c’est précisément la nuit que les civils se déplacent, pour éviter les bombardements et d’autres formes de violence.
Dans ces conditions, le plus urgent est de trouver un abri. Selon les chiffres du BCAH, 36% des familles nouvellement déplacées sont logées par des proches ou louent un logement ; 17% trouvent refuge dans des camps déjà surpeuplés ; 15% se réfugient dans des bâtiments inachevés (il n’y a pas de toit, de mur ou de porte) ; 12% sont "à la recherche d’un abri". Le reste, 82.000 personnes, doit vivre à l’extérieur, par exemple sous un arbre ou dans des champs enneigés.
Ces familles sont souvent réduites à brûler tout ce qu’elles ont pu emporter pour se réchauffer, comme du mobilier. Mardi, cinq membres d’une même famille sont décédés dans leur sommeil après avoir respiré des fumées toxiques émanant d’un feu de fortune.
Plusieurs enfants sont par ailleurs morts de froid.
Besoins exponentiels
Les besoins en termes de nourriture, de couvertures, de matelas, d’eau potable et de soins en tout genre sont criants pour cette population déjà affaiblie par des années de violence et de multiples déplacements. Les femmes et les enfants sont en outre exposés à des violences accrues. Dans son dernier rapport, le BCAH note que "la surpopulation et le manque d’intimité exposent les femmes et des jeunes filles à des risques de violence […] de la part d’hommes en position de force, tels que des propriétaires". Des cas d’exploitation et d’abus sexuels ont été rapportés.
Pour Rick Brennan, Directeur régional des urgences de l’OMS, "ce qui frappe dans cette escalade, c’est que les énormes besoins humanitaires sont largement ignorés par les médias et les gouvernements internationaux. Le nord-ouest de la Syrie représente l’une des crises humanitaires les plus graves du monde, où les civils souffrent à un niveau extraordinaire. Nous avons besoin d’un engagement international renouvelé pour mettre un terme à cette crise prolongée et dévastatrice".
Sur place, la population se sent abandonnée. Et elle a tristement raison…