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Benjamin Griveaux, qui briguait la Mairie de Paris sous l'étiquette LREM, a retiré sa candidature après la diffusion de vidéos intimes (photo d'illustration).© CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Vidéos intimes de Griveaux : y a-t-il encore une vie privée en politique ?

ENTRETIEN. La diffusion de vidéos intimes de Benjamin Griveaux pose la question de la frontière entre vie privée et publique, selon Thierry Vedel.

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La réaction n'aura pas traîné. Ce vendredi 14 février, Benjamin Griveaux a annoncé son retrait de la course à la Mairie de Paris, quelques jours après la diffusion de vidéos intimes envoyées à une femme sur les réseaux sociaux. Si l'origine de ces vidéos, que l'activiste russe Piotr Pavlenski revendique avoir fait fuiter, est encore floue, le candidat de la majorité n'a pas hésité à se retirer : « Je ne suis pas prêt à nous exposer davantage, ma famille et moi, quand tous les coups sont désormais permis. »

Envoyer des vidéos intimes à une personne adulte et consentante – si tant est que c'est le cas ici – n'a pourtant rien de répréhensible. Au contraire, c'est bien la divulgation de revenge porn qui est punie par la loi. Cet étalage d'affaires relevant de la vie privée a d'ailleurs été condamné par l'ensemble de la classe politique, de Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen, allant jusqu'à, comme Alexis Corbière, parler d'une « américanisation de la vie politique » où la morale aurait remplacé le débat de fond. Thierry Vedel, chercheur au Cevipof spécialisé dans la communication politique, analyse cette séquence inédite dans la vie politique française.

Le Point : Après la diffusion de ces vidéos intimes, Benjamin Griveaux avait-il une autre issue que de renoncer à sa candidature à la Mairie de Paris ?

Thierry Vedel : Personne ne sait ce qu'il faut faire en pareil cas. Faut-il démentir ou reconnaître, ou encore abandonner la partie ? En France, on appelle cela de la communication de crise, mais les Anglo-Saxons parlent de damage control car, bien souvent, la seule chose que l'on peut faire est de limiter les dégâts. Dans le cas de Benjamin Griveaux, la rapidité de l'annonce de son retrait pourrait tendre à accréditer les faits, mais seul lui sait quelle est leur véracité. Il dit qu'il se retire de la compétition électorale parce qu'il ne veut pas exposer sa famille, c'est une justification tout à fait légitime et louable. Mais l'ex-candidat a parfois publicisé sa vie familiale pour promouvoir sa candidature [notamment dans Paris Match, NDLR]. Lorsque l'on fait de la politique à haut niveau, on sait qu'on va subir des attaques, des insultes et des coups bas, parfois violents et injustes. On doit aussi savoir se protéger et surtout ne pas avoir de comportements susceptibles de se fragiliser en tant que responsable politique, même si la vie intime de Benjamin Griveaux n'appartient qu'à lui.

Quelle est la part de responsabilité des réseaux sociaux dans tout ça ?

Les réseaux sociaux sont un outil fascinant pour les responsables politiques, qui ont l'impression de pouvoir communiquer directement, rapidement et en toute indépendance avec les électeurs. Il y a toujours eu des rumeurs et des informations, vraies ou fausses, sur la vie privée des responsables politiques, mais les réseaux sociaux changent la donne. Ils permettent d'objectiver les rumeurs à travers des photos, des vidéos, des enregistrements audio, des témoignages… Et ils peuvent ensuite favoriser un effet boule de neige et la diffusion exponentielle d'une info, qu'elle soit vraie ou fausse. Cela suppose une stratégie délibérée en visant des relais clés – sites complotistes, journalistes, autres responsables politiques ou encore influenceurs – qui vont relayer l'info. À partir du moment où l'info circule suffisamment, elle est en quelque sorte validée par le nombre. Les médias traditionnels, qui assurent l'information du grand public, peuvent alors la reprendre, au moins en tant que sujet de débat. Cette inscription sur l'agenda médiatique renforce les discussions sur les réseaux sociaux et enclenche un processus qui s'auto-entretient.

Son ex-concurrent Cédric Villani parle de « menace grave pour notre démocratie ». Est-ce qu'il faut s'habituer à voir cette irruption de l'intime dans les campagnes politiques ?

En France, nous nous efforçons traditionnellement de séparer la sphère publique et la sphère privée. Aux États-Unis, au contraire, les candidats présentent leurs enfants et racontent leur histoire familiale. Ce que l'on appelle parfois la « peopolisation » de la politique n'est pas forcément nuisible à la démocratie. On peut concevoir – c'est la conception anglo-saxonne, qui puise dans le protestantisme – que les vertus et faiblesses privées nous renseignent sur la capacité à avoir des fonctions publiques. C'est moins la conception qui prévaut dans notre pays. Surtout, on touche ici à quelque chose qui va au-delà de la vie privée, quelque chose qui touche à l'intimité, qui relève de la vie intérieure et secrète de chaque personne. On peut choisir, en fonction d'une stratégie de communication, d'exposer certains aspects de sa vie privée. En revanche, comme disait Henry de Montherlant, « il ne faut jamais tout dire, même à une pierre ».