Causes, populations concernées, prévisions : comment interpréter la baisse record des chiffres du chômage ?
D'après les chiffres publiés jeudi par l'Insee, le nombre de demandeurs d'emploi en France n'a pas été aussi bas depuis 2008. Fin 2019, la France (hors Mayotte) comptait 2,424 millions de chômeurs. Des chiffres à regarder dans le détail. Explications.
by Viviane Le GuenLa France a enregistré fin 2019 sa plus forte baisse du nombre de demandeurs d'emploi depuis 2008 selon les chiffres publiés par l'Insee jeudi. Le taux de chômage s'établit à 8,1% de la population active. À la fin de l'année, la France (hors Mayotte) comptait 2,424 millions de chômeurs, soit 85.000 de moins sur le trimestre et 183.000 sur un an. En métropole, le taux est descendu à 7,9% de la population active. Qui est concerné par cette baisse du chômage ? Pourquoi ces chiffres suscitent la controverse ? Cette baisse peut-elle se poursuivre ?
Qui est concerné par cette baisse ?
Selon l'Insee, le taux de chômage a baissé de 0,7 point durant l'année 2019. Le chômage de longue durée (depuis au moins un an), qui concerne encore 965.000 chômeurs, recule également, de 0,2 point sur le trimestre et de 0,4 point sur un an. Quant à la part du sous-emploi, c'est-à-dire des personnes qui souhaitent travailler davantage, comme des employés à temps partiel, elle a baissé de 0,5 point sur un an pour s'établir à 5,3%.
"C'est 400.000 demandeurs d'emplois de moins en un an et demi" s'est réjoui la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, sur France Bleu. "C’est la preuve qu'il n'y a pas de fatalité au chômage de masse" a-t-elle ajouté affirmant que "24 départements" ont déjà passé "la barre des 7%" de chômeurs.
Cette baisse ne profite toutefois pas à tous. S'il a diminué chez les 25-49 ans (-0,5 point) et les plus de 50 ans (-0,5 point), le taux de chômage a augmenté chez les 15-24 ans (+0,7 point) pour atteindre 20% fin 2019. Les moins expérimentés, en particulier les jeunes femmes (+1,1 point), peinent encore à trouver un emploi.
Comment l'expliquer ?
Cette baisse du taux de chômage s'explique notamment par les créations d'emplois dans le privé : + 210.000 en 2019, malgré le recul de la croissance.
Pour certains économistes, la transformation du crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE) en allègements de cotisations patronales début 2019 ou encore le plafonnement des indemnités prud'homales en cas de licenciement ont encouragé les entreprises à embaucher. À l’inverse, d'autres estiment qu'il est encore trop tôt pour mesurer les conséquences de la politique gouvernementale sur le chômage, et que cette baisse est avant tout due à des mesures plus anciennes votées durant le quinquennat de François Hollande, comme la loi travail El-Khomri en 2016, ainsi qu'à la conjoncture économique internationale.
Ces créations d'emploi s'expliquent enfin par une évolution structurelle du marché du travail. Depuis quelques années, la population active, c'est-à-dire la population en âge de travailler, augmente moins vite. "En période de croissance, il faut aujourd'hui moins de 100.000 créations d'emplois pour diminuer le nombre de chômeurs, quand il en fallait 2 à 300.000 dans les années 2000", expliquait Alexandre Mirlicourtois, directeur des études chez Xerfi, dans une note récente.
Pourquoi faut-il relativiser ?
L'Insee, qui sonde chaque trimestre 110.000 personnes de plus de 15 ans, calcule le taux de chômage selon les normes du Bureau international du travail (BIT) .Trois critères doivent être réunis pour qu'un individu soit considéré comme chômeur : ne pas avoir eu d'activité rémunérée au cours d'une semaine de référence, être disponible pour occuper un emploi dans les 15 jours et avoir recherché activement un emploi dans le mois précédent (ou en avoir trouvé un commençant dans moins de trois mois).
Ce mode de calcul ne prend donc pas en compte le "halo autour du chômage", ces personnes qui souhaitent travailler mais qui ne sont pas comptabilisées parce qu'elles ne cherchent pas activement ou ne sont pas disponibles immédiatement. Il s'agit majoritairement de femmes. Leur nombre a augmenté de 59.000 à 1,7 million durant le dernier trimestre 2019.
Par ailleurs, cette amélioration sur le front de l'emploi tient en partie à une progression du nombre d'autoentrepreneurs. Or, en 2018, 16,6 % des travailleurs indépendants étaient des travailleurs pauvres fait valoir le magazine Alternatives économiques.
Cela peut-il durer ?
Interrogé par l'AFP, Philippe Waechter, chef économiste chez Ostrum Asset Management, est plutôt pessimiste. Dans l'hypothèse où la croissance serait inférieure à 1% cette année, "on ne peut pas imaginer que l'emploi soit aussi dynamique qu'en 2019". "On va toujours avoir un effet positif lié à la politique économique (...) mais les marges des entreprises vont être un peu plus basses puisqu'on supprime l'effet du crédit d'impôt donc ça va être un peu plus compliqué" pour elles de recruter, a-t-il expliqué.
La Banque de France anticipe d'ailleurs une nette baisse des créations d'emplois dans les prochaines années (153.000 en 2020, puis 82.000 en 2021).