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Emmanuel Macron et Angela Merkel.
© Sipa Press

Dissuasion: les Allemands ne ferment pas la porte à un dialogue avec la France

La proposition du président Macron, vendredi dernier, n’a pas suscité de réactions officielles à Berlin, mais, en privé, les responsables se disent « ouverts » pour « approfondir ​» le dialogue stratégique

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Emmanuel Macron se rend à Munich vendredi et samedi, en compagnie des ministres Jean-Yves Le Drian (Affaires étrangères) et Florence Parly (Armées). Il interviendra devant la Munich Security Conference, le grand rendez-vous annuel sur les questions stratégiques.

L’Allemagne est « intéressée » par la proposition du président Macron d’un « dialogue stratégique » sur le rôle de la dissuasion nucléaire française dans la sécurité de l’Europe. Berlin n’a pas officiellement réagi au discours du chef de l’Etat du 7 février, mais des sources allemandes proches du dossier assurent à l’Opinion qu’il existe bien « une volonté d’échanger avec un état d’esprit positif et ouvert ». Toutefois, « à ce stade », la proposition du président français « n’est pas tout à fait transparente » : « Quels seraient le sujet du dialogue et la nature des exercices » militaires auxquels les partenaires de la France pourraient être associés ? « Nous allons approfondir » avec la partie française, fait-on valoir côté allemand.

Emmanuel Macron participe, ce samedi 15 février, à la Munich Security Conference, ce qui lui donnera l’occasion de s’entretenir de ce sujet avec les responsables allemands. Ce déplacement intervient au lendemain d’un vote du Bundestag ouvrant la voie au lancement d’un démonstrateur du Scaf, le système de combat aérien du futur, développé conjointement par la France et l’Allemagne.

Sur le fond du discours, on constate à Berlin qu’il s’inscrit « dans la continuité » des autres présidents, tout en étant « un peu plus affirmatif sur la défense européenne ». Ainsi, ce qui figurait encore sous la forme d’une interrogation - déjà très stylistique (1) - dans le discours de François Hollande de 2015 est explicite dans la bouche de son successeur : « Les intérêts vitaux de la France ont désormais une dimension européenne ».

Bombes américaines. La question de la dissuasion nucléaire se pose de manière très différente en Allemagne. La République fédérale a en effet renoncé à posséder des armes nucléaires, et cela à deux reprises au regard du droit international. D’abord en signant le Traité de non-prolifération (TNP) en 1969, puis en renouvelant cet engagement lors de la réunification avec le Traité dit « 2+4 » en 1990. En revanche, l’Allemagne participe à la dissuasion nucléaire, mais dans le cadre de l’Otan et de sa planification nucléaire spécifique. La Luftwaffe (Armée de l’air) pourrait ainsi mettre en œuvre des bombes atomiques américaines B61. Une vingtaine d’entre elles est entreposée sur la base de Büchel (Rhénanie-Palatinat), sous un système de double-clé américaine et allemande. Ses armes seraient larguées par des avions Tornados, qui arrivent en fin de vie. Une décision concernant leur remplacement doit être prise cet été – le choix est entre le F-18 américain et le Typhoon européen – mais l’Allemagne n’abandonnera pas cette mission otanienne. « Avant les élections, on entend des demandes de retrait des bombes américaines du sol allemand, mais cela retombe comme un soufflé après les élections », note un observateur.

En Allemagne, quelques personnalités, surtout à droite, plaident pour un engagement plus fort de leurs pays dans le nucléaire militaire. Début février, le député CDU Johann Wadephul a ainsi proposé que l’Allemagne «partage la dissuasion nucléaire» avec la France, mais à la condition que Paris la place sous le commandement de l’Otan ou de l’UE. Une condition inacceptable pour la France. Cet élu doit participer, samedi matin à Munich, à une rencontre avec le président Macron. « Ce ne sont que quelques voix isolées. Il n’y a pas de courants forts allant dans ce sens ou une volonté du gouvernement », observe un proche du dossier.

« Mort cérébrale ». Entre Paris et Berlin, le dialogue se poursuit sur d’autres dossiers de défense. Alors que la France regrette que l’Allemagne ne s’engage pas plus militairement au Sahel, on fait valoir à Berlin que le Sahel est « une priorité pour l’Allemagne », où elle a déjà un « engagement majeur ». Plus d’un millier de militaires de Bundeswehr servent au Mali au sein de la Minusma (casques bleus) ou de la mission européenne EUTM. Berlin insiste sur la nécessité d’une approche « globale » qui ne se focalise pas sur le seul aspect sécuritaire, mais intègre le développement, la diplomatie ou l’aide aux Etats à renforcer leurs structures de sécurité.

L’Allemagne n’a toujours pas digéré les déclarations d’Emmanuel Macron sur la «mort cérébrale» de l’Otan même si on se réjouit outre-Rhin de la tonalité plus consensuelle du président français lors de son récent déplacement en Pologne. « Si quelqu’un est en état de mort cérébrale, cela veut dire qu’on ne peut pas le réanimer », note une source allemande. Or, « l’Otan est l’élément fondateur de la sécurité européenne » et « aucun Etat européen n’est capable de se passer » des Etats-Unis pour sa défense. « L’Otan reste indispensable et nous devons nous battre pour garder cette alliance en vie. ».

Si l’on comprend, à Berlin, que la France puisse être focalisée sur la lutte contre le terrorisme, on y insiste également sur « les différences dans la perception de la menace », venant notamment d’une Russie « belliqueuse ». Cette « réalité d’aujourd’hui se double d’une expérience douloureuse du passé ». Alors que le président français plaide pour la « souveraineté européenne » et « l’autonomie stratégique », ces mots rencontrent peu d’échos Outre-Rhin, où l’on met plus volontiers en garde contre « les illusions d’aujourd’hui qui préparent les déceptions de demain ».

(1) « Qui pourrait croire qu’une agression, qui mettrait en cause la survie de l’Europe, n’aurait aucune conséquence ? »