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Benjamin Kipkuiri Cheruiyot a eu plusieurs vies. Une au Kenya, où il est né, une en France où il a tout recommencé.(DR)

Marathon de Paris : le nouveau défi du réfugié kenyan Benjamin Cheruiyot

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Chaque semaine jusqu'au jour J, le JDD publie le portrait d'un coureur du Schneider Electric Marathon* de Paris. Benjamin Cheruiyot a quitté le Kenya en 2011 pour fuir la violence. Ancien athlète de haut niveau, détenteur du record junior du 1.000 mètres, il arrive en France, sans-abri. Après des années d'entraînement, le marathon est son nouveau défi.

Ancien athlète international kényan, réfugié en France depuis bientôt dix ans, Benjamin Kipkuiri Cheruiyot a eu plusieurs vies. Une au Kenya, où il est né, une en France où il a tout recommencé. Recordman junior du 1.000 mètres en 1999, il s'entraîne désormais pour le Schneider Electric Marathon de Paris. Un défi pour cet homme de 39 ans qui a repris une préparation intensive. Son objectif : passer sous la barre des 2h15, le 5 avril prochain.

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"A 13 ans, j'ai su que je pouvais courir"

Il est tombé dans la course à pied dès son enfance, dans les années 1980, à Nakuru, une ville de l'ouest du Kenya. "Je devais courir six kilomètres pour aller à l'école, plusieurs fois par jours : je rentrais manger, puis je retournais en cours l'après-midi. Et une fois arrivé à la maison, je devais aider mes parents. Il fallait partir faire les courses, à trois kilomètres de la maison, et rentrer vite. Ils me disaient : 'dépêche-toi, ne joue pas.'" Sa vie au Kenya est une course permanente.

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Benjamin Cheruiyot s'entraîne chaque jour pour le Marathon de Paris.(DR)

Le jeune Benjamin est inspiré par les athlètes du pays. Il commence à courir dans un cadre scolaire, d'abord 100 mètres, 200 mètres puis 400, 800 et 1.500 mètres. Etape par étape. En 1993, lors d'une course, il chute. La foule le harangue pour qu'il se relève et termine sa course en tête, malgré l'avance de ses concurrents. "Il me restait au moins 200 mètres à faire, je les ai rattrapés et j'ai gagné. A cet instant, j'ai su que je pouvais courir."

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Record du monde battu 

Fort de ce déclic, il met toute son énergie dans ses entraînements et dans les compétitions. En 1997, à 17 ans, il participe au championnat africain au Nigéria. Il remporte deux médailles d'or sur le 800 et le 1.500 mètres. "C'était le début de ma vie d'athlète", raconte Benjamin. L'année suivante, sur la même distance, il obtient une médaille d'argent à Annecy lors des championnats du monde junior.

Humblement, l'athlète kényan raconte ses souvenirs d'athlète international. En 1999, il bat le record du monde junior du 1.000 mètres, à Nice, avec une course terminée en 2 minutes et 15 secondes. "C'était une surprise : je ne savais même pas quel était le record à battre", se souvient Benjamin Cheruiyot. Ce temps tient toujours aujourd'hui. Il poursuit ses déplacements internationaux à Zurich, à Monaco, en Australie, au Japon, côtoie les stars de l'époque le Français Medhi Baala ou encore Bernard Lagat, un compatriote naturalisé américain, qui a remporté plusieurs titres de champion du monde sur le 1.500 mètres et le 5.000 mètres.

La fuite du Kenya vers la France

Cette ascension est brutalement stoppée par la situation politique kenyane. En 2007, les élections présidentielles conduisent à une période de violences sans précédent. La répression policière fait 1.100 morts et 60.000 déplacés. Deux hommes politiques contestent les résultats : Mwai Kibaki, le président sortant, et son rival Raila Odinga. Ils sont chacun soutenus par deux ethnies différentes : les Kikuyus pour le premier et les Kalenjins - celle à laquelle appartient Benjamin - pour le second. Avec ses primes de début de carrière, le sportif avait investi dans l'immobilier, mais ses biens sont incendiés par l'ethnie rivale. Il perd tout, sa famille se retrouve en danger. "C'était une frustration terrible", se souvient l’athlète.

Il arrête la course et enchaîne les petits boulots pour faire vivre sa famille. Jusqu'en 2011, où il prend la décision de tenter sa chance en France, seul. "Je devais y aller, essayer de construire une nouvelle vie en France. Je ne connaissais personne." Il atterrit à Lyon, dort à la gare. "La vie était très difficile", confie pudiquement Benjamin. Certaines nuits, il a de la chance en appelant le 115 et passe quelques nuits à l'abri. La journée, pour tromper l'ennui, il se réfugie dans les bibliothèques et les parcs de la ville.

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Une deuxième vie commence

Un jour dans le parc de Parilly, il croise le chemin de l'athlète Hassan Chahdi, spécialiste de la course de fond, plus particulièrement du marathon, et de son coach Bastien Perraux. "C'était une chance pour moi, j'étais si heureux de les trouver et ils étaient très amicaux", se souvient Benjamin. Après une présentation de son palmarès qui convainc l'entraîneur, ils commencent à travailler ensemble, dans le parc.

"Cela m'a donné un support, une motivation, et j'ai enfin pu progresser. Seul, c'est tellement difficile", confesse Benjamin. A l'époque, il est au plus bas de sa forme physique. Il a pris du poids, 85 kilos et n'a pas couru depuis longtemps. Pourtant, il ne lâche rien et reprend la compétition, petit à petit, dans des courses locales. "J'ai travaillé très dur, c'est une deuxième vie qui a commencé pour moi." 

Un coup de pouce du destin

Par le biais de son nouveau coach, Benjamin est repéré par l'entraîneur de l'équipe de France de demi-fond (course de 800 ou 10.000 mètres), Jean-François Pontier. Pour une course de qualification, il a besoin d'un lièvre, un coureur qui imprime le rythme pour les autres. Un petit boulot payé qu'il confie à Benjamin. Mais la course se termine à 22 heures et le foyer d'urgence dans lequel l'athlète kenyan passe ses nuits ferme à 19 heures. Alors l'entraîneur lui confie le numéro de son fils Guillaume Pontier, qui vit à Lyon. 

"Je l'ai hébergé pour la nuit, raconte Guillaume. La journée, Benjamin ne pouvait pas rester au foyer, alors je lui ai proposé de venir chez moi pour se reposer, prendre une douche, utiliser internet." Co-fondateur de deux magasins de running, ancien athlète, il évolue lui aussi dans le monde de la course à pied. Et est interpellé par le destin hors du commun du Kenyan. "Guillaume m'a beaucoup aidé, j'ai pu rester chez lui quelques temps", se souvient le coureur. Les deux hommes sont devenus amis. Grâce au magasin, Guillaume a même pu trouver un partenariat entre une marque et l'athlète. Benjamin a depuis a trouvé un lieu de résidence. En 2013, sa femme le rejoint. Symbole de sa nouvelle vie à Lyon, le couple aura deux garçons.

En route pour le marathon

L'année dernière, Benjamin décide de se lancer un nouveau défi. Courir son premier marathon. "Je ne pense plus qu'à ça, c'est beaucoup de pression car c'est une grande course mais je m'entraîne dur." Pour se préparer, il court des semi-marathons, des cross sous la licence du club Asul Bron, à Lyon. Il s'entraîne également chaque jour, selon le programme du coach Bastien Perraux : sortie de plus en plus longues, fractionnés, musculation tous les lundis.

"Je n'avais jamais fait ça avant, au Kenya on ne fait pas de musculation", plaisante l'athlète. A deux mois du jour J, il semble plus déterminé que jamais. Son objectif : terminer cette course, dans un premier temps, mais si possible en dessous de 2h15. L'organisation de son voyage à Paris est encore en cours. Benjamin espère représenter sportivement la France, l'endroit de sa renaissance. "J'espère que tout se passera pour le mieux, conclut-il. J'ai travaillé très dur pour cette course."

* Le JDD est partenaire du Schneider Electric Marathon de Paris.