Élection
Le Jura à la veille d’un «séisme» politique
Avec le maintien de la candidature UDC au second tour de l’élection partielle au gouvernement jurassien, le PDC pourrait perdre son statut historique de premier parti. Conséquence d’une profonde mutation du canton ou simple péripétie de son histoire politique mouvementée?
by Yan PauchardLes jeux sont faits depuis mercredi midi. Le second tour de la complémentaire au gouvernement du Jura se jouera le dimanche 1er mars à trois. Si le maintien revanchard du député-maire UDC Romain Schaer ne servira qu’à diviser la droite, l’élection se jouera entre deux femmes, la socialiste Rosalie Beuret Siess, favorite depuis sa victoire au premier tour, et la PDC Anne Seydoux-Christe. Mais le scrutin s’annonce très serré. Et bien malin celui qui peut prédire l’issue de ce duel, qui électrise le landerneau politique jurassien.
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Bien que partielle, cette élection est aujourd’hui scrutée au-delà des frontières cantonales, car elle a valeur de symbole. D’un côté, il y a l’expérimentée et travailleuse Anne Seydoux-Christe, 61 ans, trois mandats de conseillère aux Etats au compteur, un intense réseau national – «elle a le numéro de portable de tous les conseillers fédéraux», glisse un cadre de son parti –, que le PDC est allé chercher pour sauver le siège gouvernemental laissé vacant par le départ de Charles Juillard. De l’autre, la jeune socialiste Rosalie Beuret Siess, 41 ans, portée par les mobilisations des femmes et des jeunes pour le climat, «une politicienne ancrée dans la réalité du terrain jurassien grâce à ses mandats de députée et de membre de l’exécutif de Porrentruy», selon son président de parti Jämes Frein.
L’enjeu pour les démocrates-chrétiens est énorme. Pour la première fois depuis l’entrée en souveraineté en 1979, le parti des pères fondateurs pourrait perdre son statut de premier parti du gouvernement. «S’il devait laisser échapper ce siège, ce serait un séisme, tant le PDC a marqué l’histoire du canton», confirme l’ex-député PLR Serge Vifian, qui fut de 1976 à 1979 le benjamin de l’Assemblée constituante jurassienne. L’ancien conseiller national socialiste Jean-Claude Crevoisier acquiesce: «Jusqu’ici, en quarante ans, jamais cette représentation de deux sièges PDC n’avait été remise en cause.»
Un canton «normalisé»
Dans un canton «normalisé», où l’euphorie des années de lutte ont laissé la place à un certain désenchantement, plombé par les restrictions budgétaires, le parti qui a formé l’ossature de l’Etat s’est essoufflé. «Le PDC a trusté les hauts postes durant tellement longtemps qu’un retour de balancier était devenu inévitable», analyse l’humoriste Thierry Meury, fin observateur de la vie politique de son canton. «Surtout, l’électorat conservateur démocrate ne cesse de s’éroder. Chaque jour, dans les pages mortuaires du Quotidien jurassien, le PDC perd des électeurs», conclut l’artiste sous forme de boutade.
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«Le développement des secteurs secondaire et – surtout – tertiaire dans le Jura a affaiblit le PDC, dont l’implantation est plutôt rurale», observe de son côté Jean-Claude Crevoisier. Alors que dans un même temps le Jura, comme le reste du pays, a été touché par les vagues violette et verte. Lors de la Grève des femmes du 14 juin 2019, pas moins de 4000 personnes ont manifesté dans les rues de Delémont, peut-être le plus important rassemblement populaire hors ceux liés à la Question jurassienne. Trois mois plus tôt, le 15 mars, des jeunes grévistes du climat occupaient une succursale d’UBS, toujours à Delémont. Un épisode qui aura moins de retentissement que ceux d’autres villes romandes, mais qui démontre l’intensité de l’engagement de la jeunesse jurassienne pour l’environnement.
Les conséquences de ces mouvements ne se sont pas fait attendre: la gauche sera la grande gagnante des dernières élections fédérales. Le Parti socialiste est devenu le premier parti devant le PDC. Les Verts ont, quant à eux, terminé en troisième position, devançant les partis établis du canton que sont le PLR ou les chrétiens-sociaux.
Des difficultés «conjoncturelles»
Mais tout le monde ne s’accorde pas sur cette hypothèse d’un Jura en profonde mutation sociologique. «Contrairement aux cantons de Suisse centrale, où le parti s’est fait tondre, je ne crois pas à un tassement du PDC jurassien, dont la base reste solide», assure Jean-François Roth. Pour l’ex-ministre et ancien conseiller aux Etats démocrate-chrétien, les difficultés des siens sont conjoncturelles: «Elles viennent des divisions internes et des sorties de route d’anciens responsables qui ont laissé des cicatrices.» Celui qui fut candidat au Conseil fédéral en 1999 demeure néanmoins persuadé que la nouvelle génération redonnera sa place au parti, qui demeure «la principale force de stabilité et de construction dans le Jura».
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«La perte du siège le 1er mars ne serait qu’une péripétie de l’histoire jurassienne», conclut Jean-François Roth. De son côté, le PLR Serge Vifian s’interroge: «L’heure est certes à l’écologie, et c’est très bien. La gauche a le vent en poupe. Mais combien de temps cela va-t-il durer? Et les racines démocrates-chrétiennes sont profondes. L’emprise n’est pas uniquement sur le gouvernement cantonal, mais sur toute l’administration. C’est ce qu’on a appelé l’Etat PDC.»
Deux femmes au gouvernement
A deux semaines du second tour, les inconnues demeurent nombreuses. Le faible taux de participation du premier tour de la partielle (37%) laisse de grandes marges de manœuvre. Il reste néanmoins une certitude. Quel que soit le nom de l’élue, le Jura comptera pour la première fois deux femmes au gouvernement. Peut-être déjà un premier signe que le canton change.