Une bagarre de cour d’école
CHRONIQUE / Le lobby des villes s’est précipité aux barricades cette semaine pour dénoncer la loi 40, la qualifiant de «vraiment radicale».
Cette loi donne aux nouveaux centres de services scolaires (anciennement les commissions scolaires) le pouvoir de requérir sans payer des terrains municipaux pour loger des écoles.
Les villes disent craindre l’impact sur les comptes de taxes du fait qu’elles perdraient les revenus fonciers attendus de ces terrains et devraient compenser par une hausse de taxes.
Je n’en crois rien.
Ce n’est pas la «perte» d’un terrain ici et là qui va ébranler la fiscalité des villes au point de provoquer des hausses de taxes.
Les villes ne cessent de mettre en chantier des projets souvent de grande ampleur en insistant que cela n’aura pas d’impact sur les taxes. En quoi la «perte» d’un terrain pour une école serait-elle différente?
Si on suivait cette logique, les villes ne construiraient jamais de parcs, de bibliothèques ou d’équipements récréatifs car cela représente aussi un manque à gagner sur des terrains qui auraient pu rapporter des taxes.
Les villes estiment, avec raison, que ces équipements participent à la qualité de vie d’un quartier et à leur attractivité.
Je suis assez d’accord ici avec le premier ministre François Legault qui plaide qu’une nouvelle école contribue à stimuler la construction domiciliaire et les entrées de taxes. Les villes le savent bien dans le fond, elles qui réclament des écoles.
Cela dit, il n’est pas dans la mission actuelle des villes de payer pour l’éducation. On peut déplorer la façon dont le sujet a été amené en catimini par le gouvernement.
La loi 40 représente un «pelletage» de responsabilités dans la cour des villes et une intrusion dans le pacte fiscal avec les municipalités. Cela mérite un débat public autrement que sous la menace d’un bâillon, comme ce fut le cas cette semaine.
Mais si on doit faire ce débat, on gagnerait à élargir la réflexion à d’autres enjeux que celui du seul potentiel fiscal des terrains destinés aux écoles.
Il faudrait se questionner aussi sur le rôle «social» et «démographique» des écoles. Sur leur place dans la vie des villes, l’utilisation publique de leurs locaux et équipements.
Cela inclut les cours d’écoles que l’organisme Vivre en ville aimerait voir devenir des lieux de «verdissement» des quartiers pour lutter contre les îlots de chaleur.
Il faudrait s’interroger dès le départ sur la localisation des nouvelles écoles en se préoccupant davantage des effets sur l’occupation du territoire.
Si ces questions étaient abordées lors de la planification des quartiers, il n’y aurait peut-être pas aujourd’hui ce débat sur l’utilisation pour des écoles de terrains convoités par les villes pour des projets résidentiels ou commerciaux.
Les écoles locales peuvent contribuer à la revitalisation de quartiers et à la densification des villes, mais peuvent aussi stimuler l’étalement urbain.
Leur impact sur le choix d’un lieu de résidence n’est peut-être pas aussi décisif que le réseau routier, la proximité d’une ligne de transport collectif rapide ou le coût du logement.
Mais pour beaucoup de jeunes familles, la proximité d’une école de quartier est un facteur de localisation déterminant.
Comme pour d’autres la proximité d’une rue commerciale, d’un parc, d’un service de santé, d’un équipement récréatif ou du lieu de travail.
S’il n’y a pas d’école dans un quartier ou une ville en développement, les parents ne tarderont pas à en réclamer une.
Les élus locaux emboîteront le pas pour répondre au besoin de leurs citoyens et assurer la croissance de leurs revenus fonciers.
Sous cet angle, l’ouverture d’une école dans un nouveau quartier périphérique est à la fois une conséquence de l’étalement urbain et un accélérateur de cet étalement.
De la même façon, la fermeture d’une école dans un quartier ou un village ancien est la conséquence du vieillissement de la population locale et un accélérateur de ce vieillissement.
Sans école, comment attirer des familles et permettre un renouvellement de la population. Le quartier est alors condamné au déclin ou à devenir un ghetto de personnes âgées ou de travailleurs adultes auquel il manquera la diversité et la vitalité qu’apportent les jeunes familles.
C’est un des grands reproches fait au quartier Griffintown à Montréal, un ambitieux projet de revitalisation d’une zone industrielle du centre-ville, mais où on avait juste oublié de planifier une école.
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Le critère du nombre d’élèves est peut-être utile, voire nécessaire, pour que le réseau de l’éducation puisse faire ses choix d’investissement. Mais il ne suffit pas pour juger de l’intérêt public à ouvrir ou fermer une école.
La réflexion doit être plus large et inclure aussi les autres choix publics qui ont une incidence sur la structure des villes et l’aménagement du territoire : routes, équipements récréatifs, services publics et transport en commun, fiscalité, règles de zonage, protection du territoire agricole, environnement, patrimoine, etc.
Il est difficile d’espérer une vision cohérente de l’aménagement des villes et du territoire, si chaque ministère prend seul ses décisions sans tenir compte du reste.
Pour les mêmes raisons, on ne voudrait pas que les villes aient les pleins pouvoirs pour tout décider.
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ERRATUM
Dans ma chronique-entrevue avec la ministre des Affaires municipales Andrée Laforest intitulée Il faut freiner l’étalement urbain, parue le 5 février, j’ai attribué à son collaborateur, M. Alexandre Lambert, le titre «d’urbaniste». C’est ainsi qu’on m’avait présenté M. Lambert qui était présent pour l’entrevue. Un rectificatif s’impose : M. Lambert n’est pas membre de l’Ordre professionnel des urbanistes du Québec. Nous sommes désolés si cette méprise a pu causer des problèmes à l’Ordre des urbanistes ou à qui que ce soit.