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« Locke and Key »,  adaptée des comics (éditions Milady Graphics), est disponible sur Netflix.© Netflix

Pourquoi la série « Locke & Key » n'est pas à la hauteur des comics

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L'adaptation de Netflix gâche l'immense potentiel de cette BD d'épouvante mature et torturée, la transformant en une teen serie aux ficelles éculées.

On imagine bien comment, en français, il aurait été facile d'expédier la présentation de Locke & Key, la nouvelle série teen-frissons de Netflix : «  La famille Serrure emménage dans la maison Clé : ça tourne mal  !  » Pas très charitable de jouer ainsi sur les mots  ? La série elle-même, avec ses gros sabots, ne semble pas chercher à faire dans la finesse : l'insaisissable antagoniste de la famille Locke ne s'appelle-t-il pas Dodge (en VF, esquiver, se faufiler)  ? Mais, au-delà d'un indéniable côté «  chair de poule  » pour ados et d'une écriture parfois maladroite, Locke & Key propose un univers imaginaire très riche et bourré de potentiel… pour l'instant insuffisamment exploité.

Nos héros, profondément endeuillés (le père de famille a été assassiné sous leurs yeux), retrouvent donc au début de la série une maison familiale désertée bien des années auparavant par leurs parents. Ils y découvrent des clés magiques, chacune dotée d'un pouvoir particulier (par exemple de produire du feu, de changer son possesseur en fantôme pour un temps ou même de pénétrer dans son propre esprit, d'effacer les souvenirs, etc.). Le hic, c'est que ces clés sont également convoitées par une entité visiblement maléfique, et qu'en plus de devoir comprendre leurs pouvoirs et les protéger du Démon les trois enfants de la famille Locke doivent faire tant bien que mal leur deuil et reprendre une vie et une scolarité normales dans leur ville d'adoption. Un point de départ assez classique, mais développé avec assez de rythme et d'inventivité pour qu'on enchaîne les épisodes sans (trop) voir passer le temps. Ce n'est pas là-dessus que le bât blesse.

Sur le papier, Locke & Key avait, avant même sa première image, deux points forts et un point potentiellement faible. Premier point fort : la série est tirée d'excellents comics (ou «  romans graphiques  », laissons les spécialistes trancher) publiés entre 2008 et 2013 par le dessinateur Gabriel Rodriguez et le scénariste Joe Hill (qui, comme son nom ne l'indique pas, n'est autre que le fils du «  maître  » Stephen King). Et, même s'il s'agissait d'une œuvre qu'on devinait difficile à adapter (et encore plus pour un public adolescent, on y reviendra), l'univers qu'elle proposait était suffisamment riche et passionnant pour faire office d'excellent substrat. Second point fort : la présence à l'écriture des très compétents Carlton Cuse (Lost, Bates Motel) et Meredith Averill (The Haunting of Hill House, déjà une histoire de maison hantée et déjà sur Netflix), ainsi que l'adoubement explicite de Joe Hill lui-même. Seule ombre au tableau : une genèse compliquée, qui remonte à 2010 et qui passe par des pilotes refusés par la Fox puis par Hulu. Quelque chose clochait vraisemblablement au royaume des Locke. Impossible de savoir, sans connaître de l'intérieur l'évolution des différents scripts, à quel moment la décision fut prise de transformer un comics d'épouvante vraiment très mature, torturé et dérangeant, souvent gore et cruel, en une série d'aventures fantastiques familiales pour adolescents, mais c'est pourtant ce qui s'est passé. La série Locke & Key de Netflix n'est plus qu'un vague reflet rendu parfaitement lisse et inoffensif des comics d'origine.

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La série Netflix est adaptée d'une saga de comics au large succès.© Netflix

Stranger Things est finalement drôlement bien écrite

Ce choix radical est parfaitement compréhensible si l'on prend en compte le public visé (vous imaginez si quelqu'un avait eu l'idée de diffuser Silent Hill dans Midi les Zouzous  ! ou Ken le survivant dans le Club Dorothée  ? Oh, wait…) en décidant de passer outre les aficionados de la première heure (après tout, la série de comics est terminée et ces derniers l'ont déjà achetée, alors pourquoi ne pas chercher à toucher un nouveau public ?). Il est malheureusement à l'origine de l'une des plus grosses faiblesses de la série : le développement et parfois l'adjonction de personnages secondaires lycéens tous plus clichés les uns que les autres, et d'intrigues de cour d'école qui mettent en avant l'immaturité flagrante (flirtant parfois avec la franche stupidité) de la fratrie Locke. En essayant à tout prix de faire rentrer Locke & Key dans le moule des teen series, les scénaristes se reposent sur des ficelles tellement éculées qu'elles menacent jusqu'à la cohérence de l'ensemble. Et le spectateur de se dire, au vu des poussives interactions entre les membres de la fratrie et leurs amis, que Stranger Things était finalement drôlement bien écrite…

Les personnages principaux de Locke & Key agissent de manière souvent incohérente (parfois sous prétexte d'évolution en maturité, mais pas toujours), se montrent parfois malins, d'autres fois parfaitement crétins, sans autre raison que… cela arrange l'histoire et permet de la faire avancer. Ils ne sont même pas spécialement sympathiques et donnent l'impression, comme tant de mauvais personnages de films d'horreur, de n'avoir jamais vu ou compris un seul film d'horreur de leur vie (alors même que, dans la fiction, ils essayent d'en tourner un). Les acteurs, ni bons ni mauvais dans l'ensemble, mais jamais transcendants, font ce qu'ils peuvent avec leurs dialogues et les intentions qu'on leur dit de jouer — c'est-à-dire pas grand-chose. De la même façon, les pouvoirs des clés ont un peu l'air de se révéler pile au moment où ils peuvent faire avancer l'intrigue, ce qui confère à l'ensemble de l'histoire une certaine superficialité et une certaine artificialité. Tout avance vite et on ne s'ennuie jamais, mais uniquement en ligne droite, en une succession d'événements qui résistent mal à l'analyse dès que l'on prend un minimum de recul. Un peu plus de contexte et de lore autour du système de magie, des enjeux généraux et des dangers encourus n'aurait certainement pas fait de mal pour impliquer le spectateur dans un univers fantastique qu'il pressent mais ne voit que trop rarement et brièvement se concrétiser. Peut-être cela est-il d'ailleurs prévu pour la saison 2 de Locke & Key, déjà commandée, qui ne pourra plus se contenter de se concentrer sur les émois adolescents de ses héros. Peut-être est-ce aussi l'occasion de se plonger dans la série de romans graphiques, beaucoup plus riche et profonde — et tout aussi palpitante.

Honnête divertissement adolescent, bien menée malgré quelques facilités, bien réalisée malgré des effets spéciaux un peu à la ramasse, techniquement bien écrite, mais manquant d'âme et d'originalité dans la construction de ses personnages, Locke & Key vaut en fait surtout par ce qu'elle laisse deviner et espérer : un système de magie excitant et plein de potentiel, des intrications spatio-temporelles épiques, des conflits psychologiques déchirants… Mais, pour l'instant, en plus d'être une franche déception pour les amoureux du comics d'origine, elle ne semble qu'une ébauche d'elle-même, déchirée sans rémission entre sa noirceur profonde et son aspiration à attirer un (très) grand public familial.