Afrique du Sud : Cyril Ramaphosa à l'assaut de la crise économique
DISCOURS. Devant l'Assemblée nationale, le président Ramaphosa a défendu les solutions qu'il préconise pour résorber les difficultés de l'économie sud-africaine.
by Le Point AfriqueDeux ans après son arrivée au pouvoir en 2018, le président sud-africain Cyril Ramaphosa ne veut pas entendre parler d'échec. Dans son discours à la nation prononcé ce jeudi 13 février au Cap, il a été contraint de placer l'économie et la croissance inclusive au cœur de son action politique. Car celui qui avait promis « un nouveau départ », des emplois et la fin de la corruption sait que si la page Jacob Zuma est tournée, c'est la désillusion qui prévaut sur le plan économique. « Ramaphosa n'est certainement pas un désastre, comme l'était Zuma, mais il est vraiment décevant », résume Dawie Roodt, analyste chez Efficient Group, une société de conseil financier, cité par l'AFP. « On est plus pauvres qu'il y a deux ans en termes de PIB (produit intérieur brut) par tête, mais on n'a pas le même niveau d'incompétences et de corruption » que pendant la présidence Zuma, ajoute-t-il à l'AFP.
Espoir et désillusion
En prenant la succession de Jacob Zuma contraint de démissionner en février 2018, Cyril Ramaphosa a hérité d'un pays malade d'une économie désespérément atone et écœuré par la corruption qui gangrenait depuis des années le sommet de l'État. Son arrivée au pouvoir avait suscité « beaucoup d'attentes », se rappelle Isaac Matshego, économiste à la banque Nedbank. Tout d'abord, le président Ramaphosa enchaîne sur le plan économique des déconvenues dues à la conjoncture. Le chômage culmine à 29,1 %, son plus haut niveau depuis la crise financière de 2008. Les coupures d'électricité n'ont jamais été aussi nombreuses, handicapant des pans entiers de l'économie. Le pays, première puissance industrielle du continent, a plongé dans la récession en 2018 et enregistré deux baisses trimestrielles du PIB en 2019.
En prenant la parole jeudi soir, le chef de l'État sud-africain n'a fait que balayer d'un revers de main les perturbations qui ont eu lieu toute la journée au sein de l'Assemblée nationale. Des interruptions des Combattants pour la liberté économique (EFF), les partisans de l'opposant Julius Malema. Ces derniers ont retardé de plus de 90 minutes le début du discours du président Ramaphosa. Les bérets rouges comme on les surnomme sont partis après avoir réclamé à plusieurs reprises la démission du ministre des Entreprises publiques Pravin Gordhan. Ils s'en sont également pris à l'ancien président Frederik De Klerk, âgé de 83 ans, lui aussi présent au Parlement. « Qu'a fait Cyril depuis que nous avons fait tomber Zuma, à part devenir président ? » a demandé Julius Malema, à la tête de la deuxième force de l'opposition.
Crise énergétique, problème de corruption, South African Airways
Le président Cyril Ramaphosa a admis que le gouvernement ne serait pas en mesure de régler seul les problèmes économiques de l'Afrique du Sud. Il a reconnu que les temps sont difficiles, mais a défendu son approche des problématiques en mettant en avant le consensus et le dialogue pour créer des alliances solides face aux problèmes sociaux et économiques du pays. « Même si nous devions mobiliser toutes les ressources à notre disposition et engager d'énormes dépenses de fonds publics, nous ne serions pas seuls en mesure de garantir l'emploi aux millions de personnes sans emploi », a-t-il déclaré. Cyril Ramaphosa tente d'être « inclusif » pour ménager toutes les factions dans l'ANC, qui peut à tout moment le faire tomber, souligne Sifiso Skenjana, chef économiste chez IQ Business. « Résultat, il se retrouve sous le feu des critiques pour son indécision. » Il est « bloqué dans ses propres sables mouvants de factions rivales et par son incapacité à prendre des décisions », souligne le chef du principal parti d'opposition, John Steenhuisen, à la tête de l'Alliance démocratique (DA).
En revanche, notent les observateurs comme Co-Pierre Georg, professeur à l'université du Cap, « il y a une amélioration évidente » dans la lutte contre la corruption. Le président Ramaphosa, 67 ans, a commencé à faire le grand ménage dans les entreprises publiques, vaches à lait de nombreux proches du pouvoir pendant l'ère Zuma. La société d'électricité Eskom, fortement endettée, est dirigée depuis le début de l'année par un nouveau PDG. S'adressant à la société publique qui fournit le courant, Cyril Ramaphosa a déclaré qu'au cours des prochains mois, le gouvernement mettrait en œuvre des mesures pour « changer fondamentalement la trajectoire de la production d'énergie dans notre pays ». Il a ajouté que les municipalités pourraient se procurer leur propre électricité auprès de producteurs d'électricité indépendants. Les députés opposants de l'Alliance démocratique ont immédiatement applaudi. En effet, l'année dernière, la mairie de la ville du Cap, ex-DA, s'est adressée aux tribunaux pour demander l'autorisation d'acheter de l'électricité directement auprès de producteurs d'électricité indépendants (IPP), en raison des pannes d'électricité en cours dans le pays.
La compagnie aérienne South African Airways, au bord de la faillite, est gérée depuis deux mois par des administrateurs indépendants qui ont annoncé la fermeture définitive d'une dizaine de lignes. Cyril Ramaphosa assure, à qui veut encore l'entendre, que la situation économique va s'améliorer. « Nous estimons avoir mis en place les fondations pour que notre pays avance », a-t-il déclaré la semaine dernière. Mais il « est évident » que le président « fait face à des défis plus importants qu'il ne l'avait anticipé », estime Isaac Matshego. Il est notamment handicapé, au sein de son propre parti, par le camp Zuma, encore très puissant. En attendant, les annonces faites par le président seront davantage détaillées dans deux semaines par le ministre des Finances, qui devrait présenter son budget devant ce même Parlement.