«Europe – no hope?» La tribune d’André Loesekrug-Pietri
« Tant de projets européens sont bloqués ou ralentis car les grands Etats membres, à commencer par la France et l’Allemagne, parlent Europe mais agissent en national »
by André Loesekrug-PietriAndré Loesekrug-Pietri est entrepreneur et directeur exécutif de la Joint European Disruptive Initiative (JEDI).
Ce n’est que parce que le Président Emmanuel Macron vient à la Conférence de Sécurité de Munich cette semaine que le Bundestag allemand a approuvé en dernière minute, après des mois de tergiversations, un maigre budget de 77 millions d’euros pour lancer la première phase du chasseur européen du futur prévu pour 2040. Cela représente… 0,02 % du budget allemand total et un spectaculaire 0,6 % de l’excédent budgétaire de l’année dernière. Et cela quelques jours après que le Président Macron ait proposé de manière assez inattendue que la puissance atomique française puisse à terme défendre non seulement les intérêts vitaux de la France, mais potentiellement aussi ceux de nos partenaires européens.
Pendant ce temps, tant de projets européens sont bloqués ou ralentis car les grands Etats membres, à commencer par la France et l’Allemagne, parlent Europe mais agissent en national : stratégies d’intelligence artificielle fragmentées, politiques industrielles non coordonnées, agences d’innovation éparpillées, chacun pour soi dans les licences 5G, attitudes différentes vis-à-vis de la Chine…
A ce rythme d’escargot, avec cette politique des petits pas, comment peut-on encore avoir le moindre espoir en l’Europe?
A une époque où les démocraties sont de plus en plus remises en cause par les systèmes autoritaires à l’Est et en Asie, par le populisme outre-Atlantique et à l’intérieur des frontières européennes, et où les nouvelles puissances technologiques s’affranchissent de facto de plus en plus du pouvoir régalien, les démocraties sont-elles à la hauteur ? Nos dirigeants sont-ils à la hauteur ? Les principes démocratiques du consensus, du pouvoir de la majorité, des droits individuels, de l’État de droit, des élections régulières sont-ils menacés par un monde qui valorise massivement deux compétences contradictoires: la capacité à penser à long terme, d’investir sur une longue période, un point fort de la Chine qui est souvent souligné, et d’être en même temps incroyablement agile voire imprévisible, un domaine dans lequel le président américain excelle.
« Nous avons besoin de dirigeants qui n’excellent pas seulement dans la gestion des administrations, mais comprennent le monde dans lequel nous vivons »
Alors que les signes d’effondrement s’accumulent, l’Europe ne peut pas se cantonner à une politique gestionnaire qui, finalement, se fait au détriment tant de l’Union que des États membres, et au bénéfice des puissances extérieures. Si les mouvements sociaux s’accumulent et remettent en cause la démocratie représentative, ce n’est pas rien. Les populations, de par leur perception que leur niveau de vie baisse, sentent que le projet européen est dans une impasse. Pour éviter un effondrement total des institutions, les États membres doivent changer de logique ; ils doivent comprendre que la prospérité, la satisfaction des citoyens et la restauration de l’Europe dans le jeu des puissances, ne sont que les éléments d’une même équation.
Il y a un espoir. Mais cet espoir ne viendra qu’avec une certaine forme de révolution. Une révolution politique d’abord, où nous devons nous éloigner de la stratégie de grandes annonces non suivies d’effet qui prévaut dans tant d’États membres, et qui révolte une part croissante d’électeurs. Une révolution dans la méthodologie où les Français devront apprendre que Berlin n’est pas l’Allemagne, et où les Allemands – comme l’Union Européenne – doivent se réveiller, que s’ils n’agissent pas plus vite, nous verrons bientôt le déclin de la démocratie. Une révolution dans le personnel politique où nous avons besoin de dirigeants qui n’excellent pas seulement dans la gestion des administrations, mais comprennent le monde dans lequel nous vivons, intrication complexe de la politique, de l’économie, de la géopolitique et de la vision. Et une révolution où l’UE redevient ce qu’elle était, quand elle avait de l’impact, à savoir le garant du long terme et le catalyseur des grandes priorités, et non pas d’une foule d’initiatives.
L’Europe a besoin de cette révolution. Et très rapidement, au risque de perdre toute influence dans le monde.
André Loesekrug-Pietri est entrepreneur et directeur exécutif de la Joint European Disruptive Initiative (JEDI).