Le personnel hospitalier appelle les citoyens à "prouver leur amour pour le service public"

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La date choisie n'a rien d'anodin. Trois mois après le "plan d'urgence" présenté par le gouvernement, les personnels hospitaliers sont de retour dans la rue, vendredi 14 février, pour manifester leur amour du service public. Mais aussi, et surtout, leur colère.

"Nous avons le coeur brisé". À l'appel des syndicats, collectifs Inter-Hôpitaux et Inter-Urgences, les soignants ont prévu de manifester, blouse sur le dos, rose blanche à la main, pour dénoncer des mesures ne répondant pas à leurs revendications.
Au-delà des personnels hospitaliers, c'est l'ensemble des Français qui est appelé à se joindre à la mobilisation. Invité de la matinale de RTL, jeudi, le président du collectif Inter-Urgences, Hugo Huon, a demandé à l'ensemble des citoyens de "venir prouver leur amour à l'hôpital public, pour la Saint-Valentin, partout en France".

Une centaine d'actions de tout ordre sont prévues partout en France, a annoncé la CGT Santé. Manifestation à Bordeaux, chaîne humaine à Compiègne (Oise), "cœur géant" à Poitiers (Vienne), lâcher de "ballons roses" à Douai (Nord)… Le thème de la journée tranche avec la désespérance exprimée par ses organisateurs.

Sur les réseaux sociaux, les preuves d'amour se multiplient. Sous les hashtags #EnsembleSauvonslHopital et #JeSelfiePourlHopitalPublic, les utilisateurs de Twitter partagent des photos "j'aime mon hosto", et même des lettres d'amour, avec la volonté de former une chaîne d'amour et "faire battre le cœur de l'hôpital".

Manque de moyens matériels et financiers, pénurie de personnel… Sur le terrain, excédés face à un système qui a transformé leur façon de travailler au nom d'une "logique comptable", les hospitaliers ont, eux, de nouveau décidé de passer des mots aux actes.

Ce 14 février, à l'occasion d'une journée baptisée "hôpital mort", seuls les soins d'urgence seront prodigués.

Maintenir la pression après les démissions

Passées au second plan lors de la mobilisation contre la réforme des retraites, les blouses blanches ont ramené l'attention sur leur cause, il y a trois semaines, avec une série de démissions collectives.

Environ 800 médecins-chefs ont jeté l'éponge. Renonçant à leurs fonctions administratives, et désertant les instances de direction, ceux-ci ont choisi de se consacrer exclusivement aux soins. Une menace qu'ils avaient brandi face à la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, lors d'une rencontre organisée mi-janvier. Mais celle-ci souhaitait "d'abord qu'on fasse un état des lieux de la façon dont les réformes s'appliquent".

L'exécutif a pourtant fait des concessions. Après le constat d'une première journée de grève et de manifestations assez largement suivies, le gouvernement a annoncé, en novembre, une rallonge budgétaire, des primes à foison, une reprise massive de dette…

Pour le Premier ministre, Édouard Philippe, ce "plan d'urgence" doté de "moyens considérables" devait permettre de "redonner de l'oxygène" aux soignants. Oui, mais dans le "climat mortifère" du secteur, "ces propositions ne sont pas porteuses d'espoir", estime Hugo Huon.

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"C'est le cœur de l'hôpital qui s'arrête"

Dans les prochaines semaines, deux nouvelles primes seront ainsi versées à plusieurs dizaines de milliers d'infirmiers, aides-soignants, manipulateurs radio et auxiliaires de puériculture ; les tarifs hospitaliers seront revalorisés, et une enveloppe de 150 millions d'euros a été débloquée pour financer l'achat de matériel et améliorer les conditions de travail.

"S'il y a d'autres mesures nécessaires", Agnès Buzyn prévoit d'en discuter lors d'un prochain rendez-vous "avec les médecins hospitaliers, mi-mars".

Un peu d'argent, un peu de pouvoir… Mais trop peu pour contenter les intéressés. "Ce n'est pas du tout à la hauteur des besoins", juge François Salachas, neurologue et membre du Collectif Inter-Hôpitaux qui promet de "s'inviter dans les élections municipales" pour "demander aux candidats de se positionner" sur le budget des hôpitaux.

"Maintenant, tout le monde sait qu'on est mal payés", souligne Hugo Huon, estimant que pour sortir de cette crise, "on ne pourra pas faire l'économie d'une hausse des salaires".

Au CHU de Saint-Étienne, où vingt médecins ont démissionné, les personnels soignants, qui se sont vus accorder 500 000 euros par le gouvernement, jugent cette somme insuffisante et réclament plus de moyens.

Dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, le personnel du CHU stéphanois mobilise le public en mettant en scène la mort de son hôpital. Sur le bâtiment, filmé de nuit, la lumière de certaines salles – formant un cœur – sont successivement allumée et éteinte, suivant les "bip" d'un électrocardiogramme. Représentant le rythme cardiaque des hôpitaux publics, celui-ci s'emballe jusqu'à n'être plus qu'un long bip prolongé. "Chaque jour, l'hôpital se bat pour que votre cœur continue de battre", dit la vidéo. "Maintenant, c'est le sien qui s'arrête. Tous ensemble, sauvons l'hôpital public."

Onze mois après le début de la grève des services d'urgence, "ce mouvement n'a obtenu aucun résultat en termes d'embauches et d'attractivité", s'alarme à son tour François Salachas. "Ce qui se passe devant nos yeux, ajoute-t-il, c'est la destruction de l'hôpital public."

Selon Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes (Amuf), en l'espace d'un an, "il ne s'est pas passé grand chose". Le médecin estime que le gouvernement n'a "pas du tout entendu" les demandes de hausses de salaires et d'effectifs, formulées depuis des mois par les personnels hospitaliers.

"Ce sont deux univers qui ne se parlent plus et ne se comprennent pas", avait-il déjà déclaré à France 24. "Un univers de la technostructure, qui rêve d'un monde ultralibéral en France ; et un monde du terrain, qui est sur le front de la crise sociale traversée par la France et qui mesure chaque jour la déliquescence du système de santé".

Avec AFP