Éternel retour
by M. de RastignacChaque semaine, M. de Rastignac livre aux lecteurs de Valeurs actuelles ses réflexion sur la politique française, depuis sa fenêtre sur le XIXe siècle.
La versatilité des hommes, mon cousin, l'ingratitude du destin, les facéties du hasard : voilà le secret de la politique. Paris au fond se soucie peu du mouvement des idées, de l'habileté des stratégies. La ville cherche sans cesse un tempérament, une force qui va, un nouveau fashionable. Pour comprendre ce mystère, il vous faut désapprendre tout ce que vos parents et vos maîtres vous ont enseigné : la constance, le dur labeur, la discrétion. Le mouvement, le culot, le coup d'éclat sont les piédestaux du succès. Voyez Lamya Madou, il y a un an, elle était le symbole d'un monde disparu. Sa chance avait passé, elle n'était plus qu'un clinquant souvenir du règne de Martial Kropoly. L'or s'était changé en sable. Subsistaient la malveillance des gazettes et les soupçons des juges.
Quand les légitimistes firent le choix de leurs candidats pour les élections à la Diète de Strasbourg, la dame n'avait même plus sa place. Fière, elle accepta de se retirer en échange d'une promesse : être candidate à Paris. Croyez-moi, ils étaient peu nombreux à l'époque à y croire. Elle, ne doutait pas. Maire de Paris ? La chose semblait inaccessible mais elle valait la peine d'être tentée. Lamya Madou est partie seule et je vois encore les regards moqueurs des amis de Baptiste Graslin enchantés d'avoir l'ancien garde du Sceau comme adversaire. Pleins de la morgue qui alors les accompagnait partout, ils avaient gagné avant même de combattre. Lamya Madou, elle, riait à pleines dents.
Croyez-moi, quand Lamya Madou entre dans un salon, tous les regards se tournent et le silence s'installe. Comme elle arrive, le plus souvent, avec un certain retard, l'effet n'en est que renforcé.
Il faut dire qu'en toutes circonstances, la belle garde son sourire éclatant, ces cheveux d'ébène qui lui entourent le visage comme le plus charmant des cadres et cet œil de braise qui en a troublé plus d'un. Elle a si bien raconté sa pauvre enfance et sa lutte acharnée pour conquérir Paris qu'elle impose presque naturellement une forme de bienveillance. Croyez-moi, quand Lamya Madou entre dans un salon, tous les regards se tournent et le silence s'installe. Comme elle arrive, le plus souvent, avec un certain retard, l'effet n'en est que renforcé.
Ensuite, elle parle avec la même aisance au capitaine d'industrie qu'à l'ouvrier des fabriques. Au milieu des corsaires à gants jaunes et à cabriolet, elle surnage. Sur l'estrade, elle déclenche immédiatement les ovations. Rien ne l'intimide et je ne compte plus les dignitaires désemparés par son incroyable repartie. Chez les barons légitimistes, tout le monde la craint. Quand elle arpente un marché parisien, les badauds se pressent pour la saluer. Elle était oubliée, elle est à la mode.
La mode, c'est l'air du temps que l'on respire sans s'en rendre compte ; le règne du plus grand nombre, sa façon de sentir qui imprègne les opinions de chacun. Ceux qui avaient perdu le numéro de son étrange cornet se rappellent à son souvenir, les billets amicaux s'accumulent, les gazetiers retrouvent, enfin, leurs formules romanesques. Mieux encore, les Parisiens qui méprisent l'échec regardent désormais avec dédain Baptiste Graslin. « Les mouches ont changé d'âne », me confiait, cruellement, un cher ami qui connaît tous les passages secrets de Paris.
La partie, en vérité, est très difficile. Comme à l'habitude les légitimistes sont divisés, les travaux de ceux qui sondent les reins et les cœurs encourageants mais insuffisants, les vieilles rancunes ressurgissent et avec elles les malveillances : la bataille qui s'annonce sera homérique. Lamya Madou sait tout cela. Cet esprit fantasque retrouve toute sa rigueur à l'heure des comptes. Quoi qu'il advienne, la dame est assurée d'être conseiller de Paris, marchepied vers une élection au Sénat (chambre autrement plus agréable que la Diète de Strasbourg). Si elle perd cette élection, et personne ne pensait qu'elle pourrait l'emporter, elle ne subira aucun reproche, mon cousin. Si elle gagne…
Baptiste Graslin : candidat LREM à la Mairie de Paris.