Bombardier: contre mauvaise fortune bon cœur
by Emmanuelle LatraverseUn gouvernement qui se félicite de voir son surplus fondre de 600 millions de dollars d’un seul coup de crayon, on n’avait pas vu ça depuis longtemps. Faut le faire !
C’est pourtant ce qui est arrivé jeudi avec la transaction Bombardier-Airbus. C’est même une entente «gagnant-gagnant-gagnant» plaide le premier ministre Legault.
Loin de jeter un discrédit sur l’opération de sauvetage menée par son gouvernement, ça en dit long sur l’ampleur du problème auquel il était confronté.
Sauver les meubles
Car le 1,3 milliard de dollars investis en grande pompe par le gouvernement Couillard en 2015 ne vaut plus aujourd’hui que 700 millions. Donc pour espérer sauver la mise, Québec se voit forcé d’assumer d’un coup la perte de 600 millions.
Le gouvernement Legault se targue d’avoir réussi à porter sa participation dans le nouvel A-220 à 25%, un gain de 10% par rapport à l’entente précédente. Mais est-ce que les Québécois y trouveront leur compte? Le seul espoir, c’est qu’au 1er janvier 2026, le A-220 sera un tel succès que, 11 ans après le début de l’aventure, en vendant son 25% à Airbus, le Québec pourra retrouver sa mise. Onze ans pour espérer rentrer dans son argent! Quand on joue avec l’argent des contribuables, c’est long. D’autant plus que bien des questions demeurent.
Quel avenir pour les emplois ?
Est-ce que vraiment Airbus conservera tous les emplois au Québec ? C’est un engagement moral plaide le ministre, dans le monde d’aujourd’hui garantir des emplois n’est pas réaliste, semble-t-il.
Est-ce que Airbus ne sera pas tenté de privilégier son usine de Mobile en Alabama et y déménager des emplois une fois les parts de Québec rachetées en 2026? Il faudra certainement poser la question au PGD d’Airbus lors de son passage prochain au Québec.
Est-ce que l’entente initiale du gouvernement Couillard était aussi désastreuse que le martèle encore aujourd’hui François Legault? Je l’ignore. Son ministre de l’Économie Pierre Fitzgibbon, lui, a bien évité de se prononcer, alors que les libéraux, Dominique Anglade en tête, ont bien évité de défendre leur choix passé.
Est-ce que 1,3 milliard de dollars pour sauver 3300 bons emplois c’est un bon investissement? C’est certain qu’à 393 939$ par emploi, c’est cher payé. Mais c’est aussi la sauvegarde d’un des piliers d’une industrie aéronautique plus que stratégique, avec les 40 000 emplois qui en dépendent. C’est surtout l'espoir que ce secteur profitera à terme du succès de l’A200, plus la production va accélérer, plus des emplois seront créés. Elle est là la promesse.
Le début de la fin
Certains diront que c’est Airbus qui a réussi tout un hold-up. Exiger un réinvestissement de 900 millions dans l’A220 tout en sachant que Bombardier est totalement cassé, c’était certainement l’acculer au pied du mur.
Encore une fois, c’est le contribuable québécois qui s’est retrouvé avec le problème. Le gouvernement Legault a fait du mieux qu’il peut avec le casse-tête dont il a hérité. Déclarer une perte de 600 millions dans l’espoir de rentrer dans son argent dans 6 ans semble un moindre mal.
Au moins Bombardier ne pourra plus faire du chantage politique sur le front du A220. Reste à régler le cas des trains et des avions d’affaires.
Derrière son sourire victorieux pour avoir sauvé la mise avec Airbus, François Legault doit tout de même éprouver un malaise certain. La réalité demeure que celui qui se présentait comme le champion du nationalisme économique du Québec, le gardien de ses sièges sociaux, aura été aux commandes lors du démantèlement d’un des grands fleurons de l’économie. On comprend pourquoi il mise soudainement sur la place du Québec au sein d’entreprises mondiales.