Le coup de foudre

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Sur le fleuve Amour.

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Il y avait de l’orage dans l’air, chacun sentait qu’un rien pouvait déclencher l’étincelle qui allait mettre fin à leur voyage de noces. Lui, avait tiré sur la ficelle, hélas c’était le string de sa belle. Elle n’était pas restée les bras ballants, les nerfs en pelote, elle l’avait piqué de quelques réflexions qui laissent toujours des traces.

Le ton avait monté, le fleuve aussi. Les débordements étaient inévitables, personne ne fut surpris qu’ils survinssent aussi vite. Elle avait eu tout d’abord la désagréable surprise de découvrir sa famille lors d’un repas de mariage qui l’avait laissée sur sa faim. Bien sûr, elle ne vivrait pas avec sa belle-famille mais de là à devoir supporter de tels imbéciles quelques fois dans l’année, c’était déjà au-dessus de ses forces.

Lui s’était vite interrogé sur la place envahissante qu’occupait sa mère à elle. Il avait compris que désormais, leur couple serait souvent un trio avec l’intrusion permanente d’une dame qui avait un avis sur tout et surtout une opinion tranchée sur ce qu’il fallait pour sa fille. Il ne couperait pas à un conflit majeur, une phrase définitive comme : « C’est ta mère ou moi ! » sans qu’il puisse préjuger de sa réponse.

Puis il y avait la cohabitation. Elle ne s’annonçait pas aussi charmante que lors des ébats furieux qui les avaient conduits à contracter le mariage. Il en irait tout autrement maintenant qu’ils allaient faire lit commun pour dormir. Il ronflait, non pas d’un souffle régulier et discret, mais bien dans un vacarme tel que fermer l’œil risquerait d’être une épreuve quotidienne. Elle s’endormait dès qu’elle se couchait, tombait comme une masse dans les bras de Morphée. Plus moyen de la réveiller, pour l’amour, il faudrait patienter au petit matin.

S’il n’y avait que ces menus petits détails. Il ne rangeait pas ses affaires, qu’il jetait négligemment au hasard de ses gestes brusques alors qu’elle prenait un soin tout particulier à plier les siennes. Elle avait de son côté la fâcheuse manie d’appeler sa mère dès son réveil en une première conversation qui en appellerait d’autres tout au long de la journée.

Trois jours avaient suffi pour passer de la passion à l’irritation puis à l’exaspération. Les mauvaises surprises s’enfilaient comme des perles même s’il n’est pas question d’évoquer ici les travers inavouables que chacun tente vainement de cacher. Le tableau était parfaitement détestable, le sordide s’ajoutait au pitoyable, le trivial à l'obscène, de quoi vous faire perdre tout désir.

Mais qu’étaient-ils venus faire le long de ce fleuve ? Leur histoire tombait à l’eau, c’était un vrai naufrage le jour même de la Saint Valentin. Que pouvaient-ils encore espérer ? Une croisière en Sibérie, il y a de quoi refroidir toutes les ardeurs. Quelle idée saugrenue ! Elle ne pouvait venir que de cette maudite belle-mère.

Il devinait que tout était perdu. Qu’aucun des espoirs qu’ils avaient placé dans cette union n’allait se réaliser. Il n’y avait plus que le ciel pour croire encore en un miracle. Il se surprit à prier, elle en fut amusée lui qui avait refusé bec et ongles le sacrement de l’église. Il le retrouva dans ce geste désespéré. Elle en éprouva une vague de sympathie qui lui laissa entrevoir une intervention divine.

Elle ne se trompait pas. Son intuition avait vu juste. Le ciel soudain se chargea de nuages lourds et noirs. Les oiseaux cessèrent de chanter. Le vent tourna, une risée de vent les fit grelotter. Puis soudain, un éclair terrible les frappa tous deux, sur le pont du navire. Ils venaient de vivre ce fameux coup de foudre dont on ne peut se remettre.

La Saint-Valentin avait une fois encore réuni deux êtres que tout éloignait. Ils partagèrent le même trépas. C’était bien la seule chose qui pouvait encore les rapprocher. Ils feraient tombe commune eux qui manifestement n’auraient jamais pu partager leurs existences.

Passionnément leur.

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