Le Tournai d’avant: un jeune tournaisien dans la tourmente
Auschwitz, le camp de la mort organisée, réglementée, industrialisée, déshumanisée revenu dans notre quotidien à la faveur surtout des témoignages des survivants. Ceux-ci ont insisté sur le «Devoir de mémoire». Il est donc nécessaire d’évoquer d’autres camps, d’autres détresses méconnues, celles des travailleurs déportés parfois regardés de travers à leur retour car «ils ont travaillé pour les Boches». Voici l’exemple d’André qui, par solidarité avec ses compagnons d’infortune, écrit le journal de ses cinq années de guerre. Sans haine, sans pathos, il relate ces faits dont le lecteur vivra, en filigrane, le calvaire.
Vers l’orage
Le décor se plante: «Né le 14 août 1924, élève de l’école industrielle, j’habite une maison modeste au 135 de la chaussée de Renaix, seul avec ma mère car papa, mobilisé à 44 ans,, creuse des tranchées».
Les lignes se succèdent dès le 9 mai 1940. Pour ce jeune ado, qu’est-ce donc que cette époque? Il entend les nouvelles mensongères de la radio (tout va bien), vit l’évacuation vers Melles, le ciel rouge des incendies de Tournai, l’enterrement de trois Allemands, dans une garde-robe du château du Grand Cannelet, le retour avec en dure opposition, sa maison intacte et les ruines branlantes de la cité. Le père ne revient pas; il est prisonnier au stalag XIIIC et travaille dans une ferme.
Les cours reprennent à l’école mais la préoccupation essentielle est de trouver cette nourriture qui, au fil des jours, devient plus rare. Soudeur chez Meura, Émile nous fabrique un moulin pour moudre le blé glané (et un peu chapardé) puis une presse pour extraire le jus des betteraves sucrières récoltées dans les champs.
L’hiver est rude, un autre voisin, Fernand, nous aide à nous chauffer car machiniste à la SNCB, il jette au passage aux «Trois barrières» quelques briquettes de vingt kilos depuis le tender de sa locomotive. C’est lourd sur le vélo ou la brouette mais au moins, on a chaud.
«Il n’y fait pas riche, en septembre 1941, je quitte l’école pour un atelier de ferronnerie. Lequel, périclite; l e 17 septembre 1942, j’entre chez Meura comme apprenti soudeur.»
S.T.O
Trois lettres synonymes d’angoisse, de peurs pour ceux qu’appelle le «Service du Travail Obligatoire».
L’Allemagne se trouve en 1942 de plus en plus dépourvue de la main-d’œuvre indispensable à son effort de guerre. Les engagements volontaires, certes attractifs selon «l’Office national pour l’Emploi et le Chômage» qui collabore étroitement avec les Werbestelles n’ont rien donné.. Dès lors, elle met en place, progressivement, le STO.
Printemps 1942, l’ordonnance prévoit le travail obligatoire sur les sols belge et français mais, le 6 octobre suivant, le territoire allemand y est joint. Concernés, les hommes de 18 à 50 ans, les femmes de 21 à 35 ans (décision annulée pour elles en mars 43); exemptés, mineurs et cheminots.
Pour André Dupriez, le 3 novembre 1942 est signal d’une autre vie, il est convoqué à la Werbestelle, située encore au coin de la rue H. Notre-Dame et quai Marché au poisson. L’Allemand ne traîne pas: présentation au bureau le quatre avec ses compagnons de Meura et embarquement à la gare le cinq.
À cette époque, la rapidité du STO surprend la résistance, rien n’est prévu, les travailleurs bon gré, mal gré, quittent leur foyer, leur pays.
(À suivre)