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Réchauffement climatique : les modèles sont-ils en train de s’emballer ?

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Les grands modèles climatiques servant de base aux scénarios du GIEC sont en train d'être révisés. Et les premiers résultats montrent un énorme bond de la sensibilité climatique au CO2 avec, pour certains modèles, un doublement de la hausse de température prévue. Pourquoi les compteurs se mettent-ils soudain à s'affoler ? Faut-il faire confiance à ces prévisions et doit-on redouter le pire?

Il existe une trentaine de modèles climatiques, développés par une vingtaine de grands laboratoires en physique et climat autour du monde. Ces derniers modélisent la Terre et toutes les interactions avec l'atmosphère, l'océan, la température ou encore le type de surface pour construire une « planète virtuelle », reproduction la plus fidèle possible de la Terre. Ces modèles climatiques, rassemblés sous le nom de Projet de comparaison de modèles couplés (Cmip) servent de base au Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) pour élaborer les différents scénarios des climats futurs.

La version Cmip5, la plus récente, a par exemple servi de base au rapport du Giec lors de la COP21 en décembre 2015 à Paris. La sixième phase, nommée Cmip6, est en cours de rédaction et devrait voir le jour entre 2021 et 2022. Mais les premiers résultats commencent à tomber, et ils sont assez inquiétants. Pour une raison encore mystérieuse, la plupart des modèles affichent soudain une sensibilité climatique bien plus importante que précédemment, avec comme conséquence une hausse des températures allant jusqu'à 5,5 °C.

Le saviez-vous ?

La sensibilité climatique correspond à un doublement théorique de la quantité du CO2 dans l’atmosphère. On simule la réponse à l’équilibre du système, ce qui prend normalement des siècles, voire des millénaires car certaines composantes comme les océans ont une très forte inertie. Une situation que nous ne connaîtrons donc jamais dans la réalité, mais qui permet d’estimer l’effet de la hausse du CO2 sur les températures.

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Des révisions à la hausse jusqu’à +75 %

Une étude publiée dans Geophysical Research Letters par Marc Zelinka, climatologue au Lawrence Livermore National Laboratory, a jeté un pavé dans la mare en janvier 2020. Le scientifique a passé en revue 27 modèles déjà dévoilés et comparé la sensibilité climatique du Cmip6 par rapport à la précédente version. Pour un doublement de la quantité de CO2, le nouveau modèle Cmip6 du CNRM (de Météo France) donne, par exemple, une augmentation de température de 4,9 °C contre 3,3 °C pour le Cmip5.

Le modèle de l'Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL) passe de 4,1 à 4,6 °C. Le modèle américain du National Center for Atmospheric Research (Ncar) suggère un quasi doublement, passant de 2,9 à 5,1 °C. Le plus alarmiste, le modèle CanESM5 du Canadian Centre for Climate Modelling and Analysis (CCCMA) prévoit une hausse de 5,6 °C. En moyenne, la sensibilité climatique passe de 3,3 à 3,9 °C, soit une progression de 16 %, avec une fourchette qui s'est étendue (de 1,5 à 4,5 °C pour Cmip5 à 1,8 et 5,6 °C pour Cmip6).

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La sensibilité climatique des différents modèles pour un doublement de la quantité de CO2 dans l’atmosphère. Attention : les organismes de recherche publient plusieurs modèles qui ne correspondent pas forcément entre les différentes versions — il y a parfois de nouveaux modèles qui n’existaient pas auparavant. Nous avons donc représenté ici les modèles les plus approchants entre le Cmip5 et le Cmip6. © Céline Deluzarche, d’après Zelinka et al, Geophysical Research Letters, 2020

Faut-il faire confiance aux modèles climatiques ?

Comment expliquer un tel emballement ? Une chose est sûre : la fiabilité des modèles climatiques n'est pas en cause. « À chaque phase, on améliore le modèle en augmentant notamment la résolution du maillage, qui découpe la Terre et l'atmosphère en petits cubes », confirme Olivier Boucher, directeur de recherche au CNRS et affilié à l'IPSL. Pour Cmip6, la nouvelle configuration nommée IPSL-CM6A-LR, la résolution du modèle d'atmosphère a ainsi été portée de 96 x 95 mailles à 144 x 142 mailles, soit une résolution moyenne de 150 km.

Les organismes de recherche disposent aussi de puissances de calcul de plus en plus importantes. Pour le Cmip6, plus de 80.000 ans d'évolution du climat ont ainsi été simulés grâce aux supercalculateurs Curie et Joliot-Curie du TGCC-CEA et le supercalculateur Ada de l'Idris-CNRS pour le modèle IPSL. Soit 500 millions d'heures de calcul et 20 pétaoctets de données !

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Les nuages, coupables désignés

L'explication n'est donc pas à trouver dans la qualité des modèles. Dans son étude, Zelinka avance une première théorie : le rôle des nuages et des aérosols. « Cette augmentation est principalement due à des rétroactions positives plus fortes des nuages dues à la diminution de la couverture nuageuse extratropicale basse et de l'albédo», explique le chercheur. Une thèse confirmée par David Salas Y Melia, climatologue à Météo France et contributeur au modèle du CNRM.

« On observe une quantité moindre de nuages bas, ce qui augmente le rayonnement, décrit-il. Les nuages sont aussi plus absorbants que prévu, ce qui retient la chaleur ». D'autres organismes font plutôt référence à une évaporation accrue, ce qui génère plus de vapeur d'eau et renforce l'effet de serre, indique également Olivier Boucher. Tous les centres de recherche n'ayant pas encore procédé à l'analyse de leurs résultats, d'autres explications seront peut-être bientôt formulées.

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L’effet de la rétroaction des nuages sur la température globale pour les modèles Cmip5 (en bleu) et Cmip6 (en orange). À droite : moyenne. À gauche : nuages de basse altitude. © Zelinka et al, Geophysical Research Letters, 2020

Jusqu’à 7 °C en plus d’ici 2100 ?

Une sensibilité climatique plus élevée signifie-t-elle forcément un réchauffement plus élevé qu'attendu ? « Selon le scénario le plus pessimiste du Giec (SSP5 8,5), l'augmentation de la température moyenne globale atteindrait 6 à 7 °C en 2100, soit 1 °C de plus que dans les précédentes estimations », acquiesce Pascale Braconnot, climatologue au CEA. Le nouveau modèle prévoit également des épisodes de canicule plus fréquents et une fonte accrue de la banquise arctique.

Le CO2 n'est toutefois qu'un des milliers de paramètres à prendre en compte. La circulation océanique, les courants atmosphériques, le niveau des glaces sur les continents, les perturbations externes (volcanisme), la chimie dans l'atmosphère (gaz à faible durée de vie) ou encore le cycle du carbone et l'utilisation des terres rentrent aussi en ligne de compte dans les modèles. De plus, « l'effet est surtout notable pour les scénarios les plus extrêmes, note David Salas Y Melia. « Pour les scénarios les plus bas, comme le SSP1 2,6, le changement entre entre CMIP5 et CMIP6 est quasi nul ».

Une psychose climatique alimentée par les médias ?

Or, le scénario du pire (RCP8,5, ou SSP5 8,5 pour la nouvelle version), souvent présenté à tort comme devant se produire si rien n'est fait (business as usual), est en réalité quasi impossible. Dans une tribune publiée sur le site de Nature, Zeke Hausfather et Glen Peters, climatologues au Breakthrough Institute (Californie) et au Cicero (Center for International Climate Research) en Norvège, s'offusquent que cette version catastrophiste soit systématiquement mise en avant dans les médias et les politiques.

« Le scénario RCP8,5 implique une mise à l'arrêt totale du développement des énergies renouvelables et une multiplication par cinq des extractions de charbon, soit plus que les réserves recouvrables estimées », s'énervent les chercheurs. « Le scénario le plus en phase avec la tendance actuelle est plutôt celui du SSP3 ou SSP4 », estime également Olivier Boucher. Ce qui est déjà en soi un résultat médiocre, puisque la seule voie permettant de rester sous la barre des 1,5 °C, comme préconisé dans l'Accord de Paris, est le SSP1 1,9 (en passant toutefois par une phase transitoire à +2 °C en milieu de siècle).

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Estimation des hausses de température pour les scénarios RCP et de l’AIE à l’horizon 2100 par rapport à la période pré-industrielle (1900). Les tendances ont été prolongées au-delà de 2040 en supposant des émissions de CO2 stables entre 2040 et 2100. © Breakthrough Institute

Selon une analyse du Breakthrough Institut, calculée à partir des projections de l'Agence Internationale de l'Énergie (AIE) pour 2040 et prolongées jusqu'en 2100, il faut miser sur une hausse de 2,9 à 3,4 °C d'ici la fin du siècle, contenue de 1,7 à 3 °C si les accords de Paris sont respectés. Mais, compte tenu de la fameuse sensibilité climatique, la fourchette varie de 1,9 à 4,4 °C, mettent en garde les auteurs.

Ce qui est certain, c'est que le Giec va devoir faire face à de plus en plus d'incertitudes et de modèles différents. « D'ici quelques années, on va se retrouver avec une centaine de modèles contre une trentaine actuellement », prévient David Salas Y Melia. Le Programme mondial de Recherche sur le Climat, chargé de l'inter-comparaison des différents modèles climatiques, va avoir du pain sur la planche. « Cette comparaison est pourtant primordiale pour dégager des résultats robustes, alerte Valérie Masson-Delmotte, climatologue au CEA. La communauté scientifique doit inspirer confiance afin de guider les stratégies d'adaptation et d'atténuation ».

Ce qu'il faut retenir