Bataille d’Alésia : l’utopie d’une éclipse de lune qui aurait fait fuir les Gaulois ? Suite et fin
by Emile MoureyCésar, guerre des Gaules, livre VII, chapître 88 : Fit ex castris gallorum fuga ne doit pas se traduire par : elle se fit la fuite des Gaulois hors de (leurs) camps, mais par elle se fit hors des camps (romains), la fuite des Gaulois. Ce qui signifie qu'ils les avaient investis et dévastés...
Les Gaulois de l'armée de secours ne se sont donc pas enfuis honteusement de leurs camps, comme nombre d'auteurs le disent, et la lune n'a rien à voir dans cette affaire.
Incroyable erreur de traduction ! Véritable histoire de fous que je dénonce depuis que j'ai acheté, en 1976, le château de Taisey pour le restaurer ! Ne suis-je pas autant légitime, sinon plus, qu'un archéologue pour parler de mon site que je dis historique et de l'histoire qui s'y rattache ? En 1981, le général de la 64ème division militaire de Dijon m’avait demandé de représenter l’armée pour prendre position en faveur du site d’Alise-Sainte-Reine alors que la Revue historique des armées et ma revue saint-cyrienne "Le Casoar" flirtaient avec l’Alésia franc-comtoise. Mais quand je leur ai envoyé mon premier ouvrage pour expliquer la bataille, je n'ai pas eu le soutien que j'espérais, et ceci, malgré une réponse favorable du Ministre de la Défense. Bref, je me suis brouillé, ce jour-là, avec l’Armée française. J’étais, alors, tellement en colère que je n’ai pas répondu à ma proposition au grade de colonel dans les réserves.
Depuis cette date, j'alerte la presse et les ministres successifs concernant les graves erreurs dans lesquelles se fourvoie l'archéologie française. En 1992, j'ai envoyé gratuitement à la grande presse un nombre conséquent de mon "Histoire de Bibracte, le bouclier éduen". J'y expliquais la bataille d'Alésia comme je l'explique aujourd'hui. Triste ironie du sort, ces ouvrages que j'ai diffusés gratuitement se sont retrouvés dans les boutiques des quais de la Seine ou remis en vente sur des sites comme Amazon, Rakuten et autres, et cela sans que je touche le moindre sou.
On me fait passer pour un farfelu. On me refuse mes articles. Seul, Agoravox m'ouvre ses colonnes. Les élus locaux se retranchent frileusement derrière les thèses absurdes officielles qui dénigrent, de fait, notre histoire et notre patrimoine historique sans qu'ils s'en rendent compte.
Auteur d'un ouvrage qui vient de paraître : "Les derniers jours du siège d'Alésia", M. Alain Reyber est le représentant et le porte-parole de l'archéologie officielle pour tout ce qui concerne les questions militaires. Il est docteur en Histoire, professeur à l'école militaire de Saint-Cyr, et, je crois, capitaine de réserve.
Pour M. Reyber, l'idée de manoeuvre des chefs gaulois aurait été, qu'une fois le mont Rhéa conquis, les 60 000 hommes (?) de Vercassivellaunos s'engouffrent entre les deux lignes de retranchement, tandis que le reste de l'armée de secours aurait attaqué frontalement la ligne romaine, côté ouest, pour l'enfoncer au centre et se répandre, de même, entre les deux lignes, Vercingétorix attaquant de l'autre côté. L'axe d'effort sur le mont Rhéa n'étant que secondaire, il pense que la manoeuvre a échoué parce que le reste de l'armée de secours n'a pas attaqué sur l'axe principal prévu, préférant la fuite depuis ses camps plutôt que de marcher au combat... à cause d'une éclipse de lune. L'accusation est grave...
M. Reyber semble oublier que les Gaulois ont déjà attaqué les retranchements de la plaine sur son axe principal, la nuit précédente, et qu'ils en ont été rejetés, et cela, alors que l'armée de secours était au complet. Quant au mont Rhéa qui était certainement la position la plus difficile à prendre d'assaut, et, en plus, en montant, je ne comprends pas. Éclipse ou pas éclipse, je ne crois pas du tout à ce scénario. Dans cette hypothèse, c'est tout le reste de l'armée romaine qui aurait rappliqué en prenant Vercassivellaunos à revers et sur son flanc comme dans une souricière.
Je suis d'un avis absolument contraire. L'intention de manoeuvre des Gaulois concernant le dernier engagement, telle que César l'explique, était d'attaquer les Romains sur trois fronts : un, dans la plaine des Laumes, l'armée de secours d'un côté, Vercingétorix de l'autre côté, trois, Vercassivellaunos sur la montagne de Bussy. Et cela, de façon que les Romains ayant à défendre en même temps la plus grande longueur de retranchement possible, il ne soit pas possible à César de jouer avec ses éléments d'intervention en les envoyant, au cas par cas, d'un point menacé à un autre.
Extraits de mon "Histoire de Bibracte, le bouclier éduen" publié en 1992.
Il n'est pas envisageable que Vercassivellaunos ait pris à revers les défenses romaines sur le Mont-Rhéa pour quatre raisons :
1) Pourquoi avoir interrogé des gens du pays pour connaître un dispositif qu'on pouvait voir depuis les camps gaulois de la colline de Mussy et faire reconnaître par des éclaireurs ?
2) Il n'était pas nécessaire de marcher toute une nuit pour exécuter un si petit détour.
3) Le plateau du Mont-Rhéa est beaucoup trop étroit pour une attaque de grande envergure mettant en ligne 60 000 hommes (?).
4) Il est impensable que les Romains n'aient pas sérieusement englobé cet éperon dans leur dispositif.
La thèse que je soutiens est une attaque gauloise sur le plateau de Bussy.
1) La montagne est étendue. Son sommet qui culmine à 422 mètres est en effet trop éloigné pour être inclus dans le dispositif romain.
2) Si le tracé de l'enceinte extérieure est exact à cet endroit (je pense qu'il l'est), les camps se trouvaient bien, comme l'écrit César, sur la pente défavorable.
3) Ce plateau permet un front d'attaque de 2 km 500. On comprend que Labiénus ait pu amener sur un tel front 39 cohortes en renfort. On devine la dimension grandiose de la bataille. Comme César l'écrit, on voit les troupes gauloises prendre la formation de la tortue et monter à l'assaut des lignes romaines. César dit que les légionnaires abandonnèrent le pilum et qu'ils se mirent à combattre à l'épée. Cela signifie que sur un front de 2 kilomètres environ, l'armée gauloise et l'armée romaine se seraient affrontés dans un corps à corps sans merci, sur le retranchement lui-même.
Mais en arrière, le plateau offrait un terrain idéal pour le déploiement d'une cavalerie ; cela n'a pas échappé au regard d'aigle de César.
La tactique de César est d'une rigoureuse logique. Sa manœuvre donne la clef de son dispositif.
1) César se tient sur la montagne de Flavigny, à l'altitude de 420 mètres environ. De là, il a vue non seulement sur l'ensemble de ses troupes mais également sur le Mont-Auxois qui n'atteint que 418 mètres. César ne peut être ailleurs que sur le point le plus haut.
2) L'ensemble du dispositif est tronçonné en zones de défense. Chaque zone est affectée à une légion. Au sein de chaque légion, un certain nombre de cohortes (le minimum) sont réparties sur le retranchement et occupent les tours en bois. Les autres cohortes sont regroupées dans des redoutes situées entre les deux lignes de retranchement. Leurs missions sont probablement celles-ci :
*Arrêter le déferlement de l'ennemi en cas de franchissement du retranchement.
*Recompléter, renforcer ou relever les personnels aux remparts.
*Fournir des réserves locales. Au moment décisif, César et Labiénus n'hésiteront pas à puiser dans ces redoutes les renforts dont ils auront besoin.
3) On devine un glissement des garnisons de redoute en redoute vers les points les plus chauds.
Il est probable que vers la fin des combats, l'armée romaine a été engagée dans sa presque totalité, au pied du Mont-Rhéa contre Vercingétorix, sur la montagne de Bussy contre Vercassivellaunos, et dans la plaine des Laumes contre le reste de l'armée de secours.
4) Le génie de César, c'est la mobilité et l'art d'utiliser les réserves. Il a disposé sur le rempart le strict minimum de défenseurs. On les voit courir sur un point menacé, puis sur un autre, débordés bientôt, car ils sont peu nombreux. Le gros des forces romaines se trouve dans les redoutes, en réserve locale et dans les réserves générales d'intervention.
L'emplacement logique des réserves générales explique toute la bataille.
Le premier élément réservé se trouvait sur la montagne de Flavigny, à la botte de César. Il comprenait :
• les six cohortes que Labiénus emmènera en renfort sur le front de la montagne de Bussy,
• les cohortes du jeune Brutus qui interviendront sur le front de la plaine des Laumes et du Mont-Rhéa,
• celles du légat Fabius qui viendront à la rescousse de Brutus. Tout cela représente un maximum de deux légions, auxquelles il faut ajouter plusieurs escadrons de cavalerie romaine dont César se fera suivre quand il se dirigera vers la montagne de Bussy.
Le deuxième élément réservé occupait en toute logique les camps romains fortifiés de la plaine des Laumes, à l'extérieur de la double enceinte. Il comprenait un certain nombre de cohortes auxquelles il faut ajouter toute la cavalerie germaine. Nous pensons que c'est en voyant la cavalerie germaine et ces cohortes descendre les pentes du Mont-Rhéa, à l'extérieur et à l'intérieur de la double enceinte, que les Gaulois de la montagne de Bussy comprirent qu'il fallait donner l'assaut de la dernière chance.
Il était dans l'intérêt de César de placer la cavalerie germaine dans ces camps extérieurs pour deux raisons :
-d'une part, parce qu'on ne met pas les loups dans la bergerie ; les Germains étaient des barbares et ne pouvaient être des alliés de toute confiance ; il valait mieux les laisser “dehors”.
-d'autre part, pour pouvoir les faire intervenir sur les arrières des troupes gauloises, rapidement et brutalement, au moment décisif, à l'endroit choisi, sans qu'il soit nécessaire d'ouvrir une brèche dans les lignes du retranchement.
Le cerveau de César n'est pas comme le nôtre.
Sachant que l’armée romaine comptait son déplacement en journées de marche, à la fin desquelles, elle montait obligatoirement son camp pour la nuit, j’ai fait l’hypothèse logique que les légions s’étaient installées autour du mont Auxois « dans la foulée ». Je précise : en faisant face à une opposition gauloise logique que les traductions courantes ne mettent pas en évidence : la cavalerie romaine éclairant la marche des légions, la cavalerie gauloise assurant la protection et l'alerte en avant du mont Auxois. César parle d’un combat de cavalerie où l’acharnement est extrême. C'est ce qu'on appelle un combat de rencontre. Les premières légions - elles accompagnent César - arrivent. Aussitôt arrivées, elles se mettent au travail pour construire le camp K qui abritera le train des équipages. Quand César dit qu’il range des légions « pro castris » cela ne peut être que pour protéger ce camp K (22 bas) que les cavaliers de Vercingétorix harcèlent. César craint même une attaque de l’infanterie gauloise. Il écrit textuellement qu’il envoie ses légions à ceux qui travaillent (laborantibus), c’est clair. Puis, les cavaliers de Vercingétorix sont mis en déroute par les cavaliers germains lorsqu’ils arrivent. Ce deuxième temps est relaté en détails dans le chapitre 70 : repoussés et mis en fuite, les cavaliers gaulois abandonnent leurs chevaux pour franchir le fossé et le mur (en vert ou en gris dans mes articles de référence). Ceux qui sont derrière pour le défendre se réfugient dans l’oppidum.
Dans la logique de son cerveau, il faut comprendre que César nous explique le dispositif d'encerclement qu'il conçoit avant qu'il ne soit réalisé. Eius munitionis quae ab Romanis instituebatur circuitus XI milia passuum tenebat. Littéralement : il est décidé par les Romains d'un retranchement qui fera 10 000 pas de tour... avec des camps judicieusement placés, des tours, des redoutes, tout un système de guet et d'intervention, etc ...Opere instituto fit equestre proelium : l'ouvrage étant planifié, l'armée romaine arrive, éclairée et protégée par sa cavalerie, d'où le combat de cavalerie de rencontre dont je viens de parler, la cavalerie romaine éclairant la marche des légions, la cavalerie gauloise assurant la protection en avant du mont Auxois. Les cavaliers germains, en toute logique militaire, marchent en queue pour faire sauter une éventuelle embuscade. Quand ils arrivent sur le champ de bataille, ils chargent mettant en fuite les cavaliers gaulois.
De même, en ce qui concerne la dernière phase de la bataille contre Vercassivellaunos.
César envoie Brutus, puis Fabius (16), sur le front du mont Rhéa qui risque de céder sous les violents assauts de Vercingétorix (15), puis lui-même (17) et (18). En passant à la hauteur du camp H (22 haut) où se trouve la cavalerie germaine, il lui donne l'ordre de contourner le retranchement par l'extérieur de façon à attaquer Vercassivellaunos dans le dos (19). Par quel moyen de transmission, je ne sais pas. L'important est de comprendre que le cerveau de César est ainsi fait qu'il nous raconte les phases de la bataille dans leur suite chronologique logique, ce que nos cerveaux ne comprennent pas toujours.
Qu'on ait pu imaginer et qu'on imagine encore une armée romaine venant tranquillement installer ses camps d'une première nuit en K et H (22) au pied de Gaulois les observant béatement depuis leur oppidum (21), il y a là un manque évident de réflexion.
Extraits des commentaires de mon précédent article.
Oui, ces erreurs de traduction sont absolument incompréhensibles. Elles trouvent leur origine dans une interprétation militaire simpliste des archéologues qui se sont imaginés et s’imaginent toujours une armée romaine arrivant comme à la promenade et installant tranquillement ses camps de la première nuit, à la vue d’un Vercingétorix et de ses troupes les observant béatement du haut des remparts ; camps de la première nuit qui n’auraient plus eu de raison d’être après l’installation des camps autour du mont Auxois.
Quant aux « castra romains » de la montagne de Bussy, César dit bien au chapitre 83 qu’ils étaient sur un terrain peu favorable et légèrement en pente, ce qui est le cas. Il reparle de la pente défavorable en 85. Il ne peut pas y avoir de confusion avec les camps romains de la plaine ou du Rhéa.
En revanche, à la fin du chapitre 83, il faut comprendre « eodem tempore... » qu’en même temps que les Gaulois de Vercassivellaunos s’attaquent aux camps romains de Bussy, la cavalerie gauloise du reste de l’armée de secours restée dans la plaine s’approche des fortifications romaines de la plaine et que le reste des troupes gauloises de la plaine (fantassins) « ostendere » disons « se mettent à entourer » les camps (romains de la plaine H et K).
Oui, la phrase de César peut paraître obscure. Il faut comprendre que César fait une conclusion pour signifier que les deux actions, l’une au nord, l’autre dans la plaine, se sont faites en même temps, comme il a été dit plus tôt, à midi.
Bien d’accord sur le fait que le « pro castris » de la fin de 83 ait pu induire en erreur nos historiens, mais on ne peut pas le reprocher à César. La faute en revient aux archéologues qui nous disent que les camps romains H et K de la plaine n’existaient plus lors de l’arrivée de l’armée de secours. Dans le fil du récit de César, à partir du moment où on se met dans l’hypothèse, en effet logique, que le reste de l’armée de secours a attaqué et n’a pas fui, on comprend que pour César, il s’agissait, à l’évidence, des dits camps H et K et qu’il n’était pas besoin de le spécifier.
En revanche, c’est bien la bataille de nuit que les Gaulois auraient voulu décisive. Ils ont passé un jour à la préparer et le récit de César montre qu’elle fut acharnée. C’est cet échec qui a amené les Gaulois à concevoir et à exécuter une attaque sur trois fronts étendus car ils ont bien été obligé de constater que César jouait avec ses réserves en les déplaçant d’un point attaqué à un autre.
Quant à cette dernière bataille de jour, on peut se demander si l’objectif principal des Gaulois de la plaine n’était pas seulement les camps qu’il fallait détruire, objectif qui était à leur portée, d’où le « déploiement » de leur infanterie devant ou plutôt autour des dits camps H et K.
Mais pourquoi, dans ce cas, la cavalerie gauloise se déploie-t-elle devant la ligne de fortification romaine ? Était-elle accompagnée des archers ? Pour faire une percée dans des retranchements endommagés ? Pour empêcher une sortie romaine prenant dans le dos les Gaulois qui s’attaquaient aux camps H et K ?
Côté César, quand, au paragraphe 87, il ordonne qu’une partie de cavalerie le suive et que l’autre contourne le retranchement extérieur pour attaquer Vercassivelaunos dans le dos, cela signifie, un, qu’il y avait une cavalerie romaine qui stationnait entre les deux lignes, celle qui suivra César, et une cavalerie germaine ou romano-germaine, à l’extérieur, dans le camp H, celle qui contournera.
Question : cette cavalerie romano-germaine ne semble être sortie du camp H que sur l’ordre de César et c’est pour intervenir sur l’autre front, celui de Bussy. César aurait-il fait le choix d’abandonner aux Gaulois le camp H mais aussi son camp logistique K, préférant intervenir pour sauver sa ligne de défense de la montagne de Bussy qui menaçait d’être percée ? Imaginez qu’il n’ait pas fait ce choix ? On peut rêver...
Les Gaulois du reste de l’armée de secours se sont-ils aussi attaqués à la ligne de retranchement extérieure romaine en même temps qu’aux camps romains H et K, Vercingétorix attaquant de l’autre côté ? César ne le dit pas clairement, mais ce qui le laisse supposer est que les Romains du retranchement entendaient les cris des Gaulois devant et derrière eux.
Emile Mourey, 13 février 2020