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L'économiste Alain Karsenty, à RFI, le 31 janvier 2020. © RFI

Grand invité de l’économie RFI/JA – Alain Karsenty (Cirad) : « Une partie des revenus des populations urbaines doit aider à la conservation des forêts »

Changement climatique, préservation des écosystèmes, reboisement, gestion durable des exploitations et fiscalité… L’économiste du Cirad Alain Karsenty dresse un constat lucide mais pas désespéré de l’exploitation des ressources forestières du continent. Il est le Grand Invité de l’économie RFI-Jeune Afrique samedi 1er février sur RFI, à 12 h 10 heure de Paris, 11 h 10 TU.

Économiste au centre français de recherche agronomique pour le développement (Cirad) depuis 1992, Alain Karsenty est un des meilleurs experts francophones des forêts africaines. Dans le cadre de ses fonctions au Cirad, il travaille en plus de ses recherches en qualité de consultant avec les gouvernements et les entreprises du secteur forestier. Il est le grand invité de l’émission Éco d’ici Éco d’ailleurs RFI-Jeune Afrique, diffusée ce 1er février à 12 h 10, heure de Paris. Extraits.

Les rythmes de déforestation sont très importants. Pendant longtemps, on considérait que le Brésil et l’Indonésie étaient les grands pays de déforestation. On s’aperçoit aujourd’hui qu’il y a plus de déforestation en RDC qu’en Amazonie brésilienne. Cela est dû à plusieurs facteurs : l‘exploitation du bois de feu d’une part, mais aussi les pressions des agriculteurs. On a raison d’être inquiet. Il y a aussi les compagnies forestières, de moins en moins européennes, et de plus en plus chinoises, pour lesquelles les progrès sont assez lents.

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Avoir une barrière végétale qui barre l’Afrique au Sahel est dans le concept une bonne idée. Après, tout dépend de la réalisation. Il s’agit avant toutde mettre en réseau des initiatives prises par des communautés. C’est plus réaliste que de planter dans des zones très désertiques. Toutes les grandes entreprises de reboisement, quand elles ne sont pas faites dans la logique paysanne, échouent. Au Burkina Faso, on a dépensé des millions de dollars dans les forêts classées. Le résultat est quasiment nul.

Les trois-quarts du bois d’Afrique centrale, mais aussi d’Afrique de l’Ouest et même de Tanzanie partent en Chine

Sur l’aspect transformation du bois, la réussite du Gabon est incontestable. Il y a de très nombreuses usines qui se sont ajoutées à celles qui existaient déjà, et cela a probablement créé des emplois. Reste que du point de vue économique, les recettes fiscales venant du secteur forestier se sont effondrées car l’essentiel de la fiscalité était associé à l’exportation des grumes et le gouvernement n’a pas voulu reporter cette fiscalité sur l’exportation de bois transformé.

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Le problème c’est que l’exploitation au Gabon est revenue à ses niveaux les plus élevés, pas loin de 4 millions de mètres cubes par an. On peut se demander s’il n’y a pas eu du fait des avantages fiscaux offerts, un surinvestissement. Aujourd’hui, on est dans une situation de surcapacité par rapport à ce que la forêt peut fournir. Tout le monde cherche les mêmes essences. Le risque c’est une surexploitation, non pas de la forêt, mais de certaines espèces. C’est un risque pour la biodiversité et pour les écosystèmes.

Les difficultés de Rougier ont marqué un double tournant. Les grandes entreprises européennes dans ce secteur sont en recul et vendent leurs actifs, en général à des entreprises chinoises. C’est lié au fait que ces entreprises ont des performances économiques supérieures, utilisent plus d’essences de bois que les européennes, que leurs acheteurs demandent toute une série de qualité de bois (quand les Européens se concentrent sur la meilleure). Elles ont aussi un accès aux financement plus simple.

Les trois-quarts du bois d’Afrique centrale, mais aussi d’Afrique de l’Ouest et même de Tanzanie partent en Chine. Les opérateurs indiens et vietnamiens sont aussi de plus en plus présents. L’autre tournant, c’est qu’on arrive à la fin d’un cycle dans lequel on pouvait exploiter certaines essences comme le sapelli au Congo ou l’ayous au Cameroun. Et le changement climatique risque d’aggraver les choses.

La sensibilité de l’industrie forestières africaine a la baisse de l’activité en Chine est très importante. Effectivement le destin du secteur du bois est complètement lié à la Chine. Et de plus en plus au Vietnam et à l’Inde, qui ont des déficits de bois importants.

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La bonne nouvelle, c’est qu’il y a quelques jours, la Chine a pris des mesures comparables à l’Europe en interdisant le commerce du bois illégal. Les importateurs pourront être pénalisés, cela devrait peu à peu améliorer la situation. Jusqu’à présent, les entreprises chinoises étaient limites par rapport à cela. Les gouvernements africains en étaient conscients, d’où par exemple la décision du Gabon de rendre la certification (portant sur l’exploitation durable des forêts) obligatoire. Pour l’Inde et le Vietnam, ce sera plus long. C’est la preuve qu’on ne peut se reposer sur les acheteurs. La question de la légalité des exploitations doit être contrôlée dans les pays africains. C’est une question de gouvernance.

On fait beaucoup de projets de reboisement sur quatre ou cinq ans, et après cela s’arrête. Les pays ne peuvent pas mener des politiques à long terme s’ils n’augmentent pas leurs recettes et n’ont pas des revenus qu’ils peuvent affecter à l’environnement. Jusqu’à présent, ils pensaient que c’était l’affaire de l’aide internationale. Ils ne se sont pas appropriés les questions du financement.

Il faudrait qu’une partie des revenus des populations urbaines en taxant les produits qu’elles consomment tous les jours (bière, unités téléphoniques…) puisse être affectée aux campagnes pour que les paysans conservent les forêts, fassent de l’agroforesterie. C’est un dialogue politique que j’essaie d’avoir en Côte d’Ivoire, à Madagascar, au Burkina Faso.