Un ancien Premier ministre ne devrait pas dire ça
François Fillon était invité jeudi par France 2 à quelques semaines du début de son procès.
by Jonathan Bouchet-PetersenLéa Salamé n’a pas manqué de le lui faire remarquer. François Fillon affirmait avoir des «preuves». Autrement dit, des éléments factuels accréditant les accusations qu’il lance à l’endroit de François Hollande depuis que les révélations à répétition du Canard enchaîné ont fait voler en éclat sa campagne présidentielle en 2017, dans un calendrier judiciaire qui n’a certes pas été commun mais dans des circonstances qui ne l’étaient pas davantage. Invité jeudi soir de la grande émission politique du service public, Vous avez la parole – alors que son procès, qui concerne l’emploi comme collaboratrice de sa femme, Penelope, dont le travail loué par son mari n’a jusqu’ici pas sauté aux yeux des observateurs, s’ouvre le 24 février –, François Fillon a déroulé, pour justifier sa chute, un argumentaire complotiste mais guère étayé sur le thème du cabinet noir et de la cabale politique. C’est une chose de dire que l’Elysée était informée des procédures, c’en est une autre d’accuser le chef de l’Etat d’alors de l’avoir fait tomber. Un ancien Premier ministre ne devrait pas dire ça…
«Qui imagine le général de Gaulle mis en examen ?» Cette provocation, l’un des rares regrets formulés par Fillon jeudi sur France 2, a-t-elle excité le camp Sarkozy ? Et donné l’envie, par exemple, à un Robert Bourgi, l’homme qui a offert à Fillon les costumes sur mesure à 6 500 euros pièce, de faire tomber le vainqueur de la primaire de la droite ? L’avocat s’en est plusieurs fois vanté et affirme avoir prévenu Sarkozy de ses intentions, lequel, comprend-on, ne l’en aurait pas dissuadé. Fillon le sait, c’est cette affaire, véritable déflagration dans l’opinion au regard des sommes, des us et du pedigree «françafricain» de Bourgi, qui a donné le coup de grâce à son rêve élyséen, même si elle ne sera pas l’objet de son prochain procès. Sans les costumes, Fillon aurait-il été au second tour, lui que Marine Le Pen a devancé de près de 600 000 voix ?
Alors qu’il n’a pas témoigné une once de respect à l’ancien chef de l’Etat socialiste, François Fillon a fait preuve de davantage de retenue «républicaine» au moment d’évoquer les cas Macron et surtout Sarkozy, avec lequel les ponts sont pourtant rompus. Il en a profité pour nier avec la plus grande force avoir demandé à Jean-Pierre Jouyet, secrétaire général de l’Elysée sous Hollande, d’activer les poursuites judiciaires contre Nicolas Sarkozy, ciblant encore dans ses accusations la main de socialistes au pouvoir et regrettant le manque de «clairvoyance» de la droite dans cette affaire. Il a en outre souligné, comme on dégaine un brevet de moralité, n’avoir été mêlé, à la différence de bien des barons de la droite, à aucune des grandes affaires politico-financières de la Ve République, très souvent liées au financement des partis politiques. Vrai, mais hors sujet.
On l’a compris, François Fillon n’avait dans sa besace de «preuves» que son intime conviction que son sort a été scellé à l’Elysée. Ces affaires sont trop graves pour en rester à des supputations, des sous-entendus et des affirmations péremptoires. S’il a passé plus de temps à esquiver ou à accuser qu’à acter ses propres sorties de route – l’émission n’était que le lancement de sa communication d’avant-procès –, l’ex-Premier ministre a en tout cas confirmé une bonne fois pour toutes qu’il en avait fini avec la politique. Et c’est d’ailleurs avec une gourmandise à peine contenue qu’il a évoqué sa nouvelle vie, autrement plus rémunératrice que ses «quarante ans d’engagement». Il l’a dit comme s’il avait rompu avec une vie de bénévolat. Le grand brûlé de la présidentielle est professionnellement remis en selle et financièrement repu, mais il n’a pas complètement atterri. Ses regrets sont probablement infinis, sa responsabilité est surtout immense.