Protection de l'environnement : les «sages» consacrent une avancée «historique»
Dans une décision rendue ce vendredi, le Conseil constitutionnel entérine pour la première fois un «objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains». Ce qui s’appliquera à toutes les lois à venir.
by Coralie Schaub«Historique». «Extrêmement important». «Vraie avancée pour la protection de l’environnement». La décision rendue vendredi par le Conseil constitutionnel au sujet de l’interdiction de produire en France et d’exporter des pesticides bannis par l’UE, interdiction jugée conforme à la Constitution, est qualifiée de «tournant majeur» par les spécialistes du droit de l’environnement. Car, au-delà du sujet précis de cette décision, les sages du Palais-Royal consacrent pour la première fois un «objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains». Ce qui change désormais la donne, car il s’appliquera à toutes les lois à venir.
Charte de l’environnement
Le point de départ de cette décision est la contestation, par l’Union des industries de la protection des plantes (UIPP, le lobby des entreprises productrices de pesticides), d’une disposition de la loi agriculture et alimentation (Egalim) de 2018 prévoyant l’interdiction, en 2022, de «la production, du stockage et de la vente de produits phytopharmaceutiques» destinés à des pays tiers et contenant des substances prohibées par l’UE.
L’UIPP, rejointe par l’Union française des semenciers, avait déposé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) devant le Conseil d’Etat, car elle soutenait que cette interdiction d’exportation était contraire à la liberté d’entreprendre, liberté à valeur constitutionnelle. En novembre, le Conseil d’Etat avait transmis cette QPC au Conseil constitutionnel, car il s’agissait de demander au juge constitutionnel son avis par rapport à un autre principe de valeur constitutionnelle : la protection de l’environnement, inscrite dans la charte de l’environnement de 2005.
«Patrimoine commun des êtres humains»
Par sa décision de ce vendredi, le Conseil constitutionnel vient donc de répondre, en adressant un camouflet à l’UIPP, mais surtout en faisant faire un pas de géant à la protection de l’environnement.
Certes, le juge constitutionnel rappelle tout d’abord que la liberté d’entreprendre découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Mais il ajoute ensuite, «en des termes inédits», selon le communiqué de presse de l’institution, qu’il découle du préambule de la charte de l’environnement – sur lequel il s’appuie pour la première fois – «que la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle». Cette phrase est clé.
Le Conseil constitutionnel le souligne lui-même, il estime «pour la première fois, qu’il appartient au législateur d’assurer la conciliation des objectifs, de valeur constitutionnelle, de protection de l’environnement et de protection de la santé avec l’exercice de la liberté d’entreprendre». Et de poursuivre : «A ce titre, le législateur est fondé à tenir compte des effets que les activités exercées en France peuvent porter à l’environnement à l’étranger.» Autrement dit, désormais, les auteurs de projets et propositions de loi, quels que soient l'objet et l’ambition de leur texte, devront s’assurer que celui-ci respecte l’objectif de valeur constitutionnelle que constitue «la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains». Ils devront non seulement tenir compte de la santé et de l’environnement des Français, mais aussi raisonner au-delà du territoire national, en prenant en compte la santé et l’environnement sur l’ensemble de la Terre.
«Une sacrée avancée»
«Une décision essentielle», se félicite Florence Denier-Pasquier, juriste spécialisée dans l’environnement et vice-présidente de la fédération d’ONG France Nature Environnement, qui avait porté le fer face à l’UIPP dans cette affaire. «Historique», abonde l’avocat en droit de l’environnement Sébastien Mabile. «Grâce à la reconnaissance de cet objectif de valeur constitutionnelle, le Conseil constitutionnel assure la prééminence de la protection de l’environnement sur la liberté d’entreprendre. C’est une sacrée avancée, qui aura une influence sur la rédaction des lois», estime un de leurs confrères.
Cette décision, qui marque un tournant dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, est définitive : pour la remettre en cause, il faudrait modifier la Constitution. Et elle risque de relancer le débat sur l’opportunité de réviser l’article 1 de la Constitution pour y inscrire une référence au climat et à la biodiversité, comme le souhaitait Nicolas Hulot et comme pourraient le souhaiter les membres de la Convention citoyenne pour le climat.