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Un trou-plein de «péné».
Cat O'Neil

Un trou-plein de «péné»

Les rapports sexuels sont trop souvent réduits à la pénétration. Il existe pourtant une sexualité avec plein d'autres trous : plus égalitaire et plus imaginative. On vous raconte tout dans le dernier numéro de la newsletter «L».

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Par manque d’imagination et par flemme, la sexualité s’organise depuis la nuit des temps autour de la pénétration, la bite de l’homme dans le trou de la femme. Prendre, fourrer, pistonner, défoncer: autant de variations du même acte sexuel. Mais pour le plaisir de qui ?

Dans son dernier essai, Sortir du trou (Anne Carrière), la chroniqueuse sexe Maïa Mazaurette appelle à sortir de ce trou anatomique et psychologique qui réduit les femmes et leur sexualité à un orifice. «Je n’ai pas besoin qu’on me remplisse», dit-elle. La sexualité n’est pas une «affaire d’orifices» à combler, de trous à collectionner (le mythe de Casanova), de big-bang porno où s’enfiler par «tous les trous». «Sortir du trou» devient un concept, celui qui dit non à cette sexualité mécanique et répétitive, chiche en plaisir pour les femmes. 

Alors pourquoi pas un «moratoire sur la pénétration» dans les relations hétérosexuelles ? L’écrivain Martin Page fait la proposition dans Au-delà de la pénétration (Le Nouvel Attila), un essai-manifeste assorti de témoignages d’hommes et de femmes hétéros sur la place de la «péné» dans leur sexualité. Il se prend à imaginer l’Assemblée des Nations unies statuant sur le sujet. L’idée lui permet de rappeler le caractère politique de nos sexualités : la pénétration s’avère parfaitement compatible avec l’exigence d’efficacité de notre système capitaliste (un petit coup entre le boulot et le dodo), non contente d’être «la continuation d’un projet […] de soumission et d’humiliation des femmes», souvent assortie d’une douleur physique ou psychologique sur laquelle plusieurs d’entre elles osent poser des mots dans le livre. La douleur n’est pas nécessaire, rappelle Maïa Mazaurette. «Au lieu de pénétrations brutales, on pourrait pénétrer doucement, on pourrait ne pas pénétrer, on pourrait recevoir la pénétration.» Une nouvelle géographie du plaisir se dessine... 

Car des trous, il y en partout sur les corps, masculin et féminin. Narine, bouche, aisselle, nombril, urètre, anus, vagin, pores de la peau… Maïa Mazaurette s’amuse à énumérer ces orifices souvent oubliés. «On peut pénétrer le pénis de l’homme, rappelle-t-elle. Par l’urètre.» Les sex-shops vendent le matériel nécessaire et les orgasmes obtenus sont, paraît-il, vertigineux.

Assumant d’attaquer son propre camp (celui des «hommes hétérosexuels omnivores et dévoués, ceux qui dominent la planète et la détruisent»), Martin Page replace le plaisir au centre des questionnements: et si on était plus heureux, femmes comme hommes, en se parlant en toute franchise de ce que l’on voudrait tester? Pourquoi ne pas assumer ses désirs de caresse, de cuir, de cunnilingus... ou de sodomie, permettant à l’homme d’être pénétré aussi ? Car, bizarrement, remarque l’auteur, «les hommes hétérosexuels, pourtant aventureux quand il s’agit du corps de l’autre, se révèlent puritains concernant leur propre corps». 

Mieux se connaître, et mieux connaître l’autre. Prendre le temps de déployer cette intimité où se dévoilent les zones érogènes de l’autre. «Si j’insiste sur les bénéfices sexuels qu’entraîne l’attachement, dit Maïa Mazaurette, c’est parce que l’attention portée au lien privilégié permet une connaissance chirurgicale du corps de l’autre.» Le plaisir sexuel relève du sur-mesure. Etre traité de façon unique. Et déployer une forme d’égoïsme salutaire. «Si on aime le sexe, estime Maïa Mazaurette, on ne peut que dire: moi d’abord. Ou plus précisément: moi, de préférence !» Personne n’est un trou !

►Sortir du trou, de Maïa Mazaurette, éd. Anne Carrière, janvier 2020, 300 pp., 18 €.

►Au-delà de la pénétration, de Martin Page, éd. Le Nouvel Attila, janvier 2020, 160 pp., 12 €.