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Une équipe dans le métro parisien, le 30 janvier, lors de la Nuit de la solidarité.
Photo Michael Bunel pour Libération

Nuit de la solidarité : quand Paris compte ses sans-abri

Dans la nuit de jeudi à vendredi, près de 2 000 bénévoles accompagnés de travailleurs sociaux ont parcouru les rues de Paris, les couloirs du métro ou les parkings souterrains pour recenser les personnes SDF.

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Ils sont encore plus invisibles que ceux qui dorment dehors : toutes les nuits, environ 300 sans-abri se réfugient sur les quais et couloirs des stations du métro parisien. Dans la nuit de jeudi à vendredi, une opération de recensement des personnes sans domicile fixe a été menée dans la capitale. A l’initiative de la mairie de Paris, près de 2 000 volontaires accompagnés par des travailleurs sociaux ont sillonné la ville, les réseaux RATP et SNCF, les parkings sous-terrains, les bois de Boulogne et Vincennes, mais aussi les hôpitaux et les talus du périphérique, pour rencontrer et décompter les personnes qui dorment dans ces espaces publics. En surface, Paris a été découpé en 384 secteurs, parcourus par autant d’équipes, qui ont sillonné toutes les rues de manière à procéder à un recensement le plus précis possible.

Sous terre, les bénévoles chargés des lignes et stations du métro sont de «purs produits RATP», c’est-à-dire des employés de la Régie, souligne Pierre, agent sur le RER B depuis 1988. Avec lui, Marlène et Karim, affectés sur le réseau de bus, et Loreline, agent sur la ligne 4, constituent une des 120 équipes d’employés RATP qui se sont portés volontaires cette nuit.

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Photo Michael Bunel. Le Pictorium pour Libération 

Questionnaire anonyme

Ce soir, il fait doux et la pluie s’est arrêtée, le métro sera moins occupé. «Mais ça nous donne une photographie de la situation», explique Emmanuelle Guyavarch, responsable de la lutte contre la grande exclusion à la RATP. Les agents du réseau tiennent déjà quotidiennement un décompte mais, grâce au questionnaire anonyme, le recensement permet de mieux connaître les profils et les besoins des sans-abri du métro pour mieux agir.

Sur la ligne 2, les bénévoles inspectent les quais. Il y a cet homme au bonnet, à la silhouette élancée, assis sur un banc de Barbès, avec son chien. Réticent, il finit par répondre aux questions des bénévoles. Julien, 36 ans, vivait depuis quatre ans dans une tente à Pigalle, avant qu’on ne la lui vole il y a quelques jours, avec toutes ses affaires. Malgré cela, il n’appelle pas le 115, après  une mauvaise expérience : Looping, le boxer american bulldog qu’il a sauvé de l’euthanasie en janvier dernier, avait dû rester dehors.

Chaque groupe est encadré par un agent du Recueil Social, une maraude quotidienne mise en place par la RATP. Hervé Aussiette était agent de sûreté avant d’intégrer le Recueil Social en 2006, pour «adopter une approche moins axée sur la sécurité et davantage sur le lien social». Habitué des maraudes, il repère immédiatement une personne allongée sous une couverture, qu’on aperçoit à peine au bout du quai de Pigalle. Elle dort, alors on ne la dérange pas, sauf pour s’assurer qu’elle va bien. «On a déjà eu des morts dans le métro», témoigne Hervé Aussiette. Il conduit les bénévoles dans un ancien couloir d’accès aujourd’hui condamné, où se réfugient certains SDF qui se procurent les clés des portes aux puces de Saint-Ouen. Marie (1), 31 ans, et Romain, 50 ans, y dorment toutes les nuits sur un lit d’appoint.

«Tout dégringole très vite»

«On a tous tendance à tourner le regard quand on voit un sans-abri, mais ce soir, au contraire, on va à leur rencontre», confie Marlène, chef de ligne du bus 40. Pour la deuxième fois, elle participe au recensement, une «petite contribution, mais qui a un vrai impact sur la situation». Lors de la première édition en 2018, le décompte avait mis en lumière le nombre important de femmes parmi les sans-abri (12%) et permis la création de trois centres d’hébergement qui leur sont exclusivement réservés.

Pour leur sécurité, certaines adoptent une stratégie d’invisibilité et tendent à se confondre avec les voyageuses. Natacha, la quarantenaire d’origine russe, bonnet et manteau noirs impeccables, confie qu’on lui reproche souvent «d’être trop propre sur [elle], de vouloir tricher». Après des études de traduction, elle ne peut travailler faute de papiers. Alors depuis le printemps dernier, elle passe ses journées dans les musées, les bibliothèques, les églises, par peur de se faire agresser dans la rue. Martin, 59 ans, l’a rencontrée l’année dernière, alors qu’il passait sa première nuit dans le métro. «J’ai perdu ma femme, mon boulot, puis tout dégringole très vite», confie-t-il. Malgré trente ans de carrière en tant que comptable, difficile de trouver du boulot quand on ne peut se présenter propre et reposé aux entretiens. Cette nuit, ils passeront finalement la nuit dans un centre d’hébergement de Nanterre (Hauts-de-Seine). Les sans-abri recensés dans les espaces publics pendant la nuit de la solidarité ne sont en effet qu’une partie émergée de l’iceberg.

Lors du comptage organisé l’an dernier, ils étaient 3 641 à dormir dehors dans Paris, et 24 443 dans des structures d’accueil, un chiffre en augmentation par rapport à 2018. Au total, ce sont donc plus de 28 000 personnes qui n’ont pas de domicile dans la capitale. 

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 Photo Michael Bunel. Le Pictorium pour Libération 

(1) Le prénom a été modifié.