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Lors d'une manifestation à Nantes, le 9 janvier.
Photo Sébastien Salom-Gomis. AFP

Est-il vrai, comme le dit Castaner, que la grenade GM2L qui remplace la GLI-F4 ne contient pas d'explosif ?

La grenade GLI-F4 qui équipait les forces de l'ordre est définitivement remplacée par la GM2L. Celle-ci, contrairement à la première citée, ne comporterait pas d'«explosif», assurent son fabricant et le ministre de l'Intérieur, mais une «composition pyrotechnique».

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Bonjour,

«Ces grenades explosives dites GLI-F4 qui ont comme défaut de contenir de l’explosif, qui ne servent aux policiers que dans les cas les plus graves, j’ai pris la décision de les retirer, pour anticiper les conclusions que nous allons rendre dans le cadre du nouveau schéma national de maintien de l’ordre public.» Cette annonce du ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, le 26 janvier sur France 3, d’abandonner la GLI-F4, grenade responsable de nombreuses mutilations, a fait réagir sans être une surprise : cette munition n’est plus fabriquée depuis 2014.

Sa remplaçante dans les armureries de la police et de la gendarmerie, également fabriquée par Alsetex, est connue. Il s’agit de la GM2L, qui peut être aussi dangereuse que la GLI-F4, vous expliquait CheckNews dans un précédent papier. Là où la GLI-F4 est dite «à triple effet» (lacrymogène, sonore et de souffle), la GM2L serait seulement un dispositif lacrymogène et sonore.

Comme le remarquait l’ancien général de gendarmerie Bertrand Cavalier auprès de l’Essor de la gendarmerie, l’argumentaire justifiant le passage de la GLI-F4 à la GM2L repose sur deux volets : «D’une part l’absence d’éclat vulnérant, du fait de l’emploi de plastique polyéthylène élastomère dans sa composition, d’autre part l’abandon de l’explosif brisant en lui substituant un dispositif pyrotechnique déflagrant/détonant (la dispersion du CS [lacrymogène] est assurée par une charge pyrotechnique déflagrante).»

«Dans le cas de la grenade GLI-F4, l’effet sonore est obtenu par un explosif, alors que la grenade GM2L, il s’agit d’une composition pyrotechnique», promet d’ailleurs le fabricant dans des documents internes publiés sur le site du collectif Désarmons-les.

Cette absence d’explosif a été contestée sur les réseaux sociaux, plusieurs personnes affirmant par exemple que la GM2L contenait de l’hexocire, un mélange de cire et de RDX, un puissant explosif. Deux jours après l’annonce de Christophe Castaner, après les violents affrontements entre les forces de l’ordre et les pompiers, le collectif Nantes Révoltée publiait sur Twitter une compilation d’explosions de GM2L, ironisant sur la «nouvelle» grenade explosive «pas dangereuse» du gouvernement.

Vitesse de l’onde de choc

En fait, qu’une grenade explose ne signifie pas forcément qu’elle contient de l'«explosif» au sens technique du terme. Et à l’inverse, une munition comportant une «composition pyrotechnique» pourra exploser. Quelle est alors la différence entre un «explosif» (contenu par la GLI-F4) et une «composition pyrotechnique» (contenu par la GM2L, selon l’appel d’offres) ? La réponse est donnée par l’AF3P. Interrogée par CheckNews, cette association qui rassemble des professionnels du secteur de la pyrotechnie et des explosifs différencie : «Les "explosifs" à proprement parler sont les produits dont le régime de décomposition normal est la détonation, c’est-à-dire que la réaction progresse dans le produit par l’effet d’une onde de choc, à une vitesse allant de 2 000 à 9 000 m/s selon les produits.»

A l’inverse, «les "compositions pyrotechniques" forment un vaste ensemble de produits explosifs qui – tout au moins au sens réglementaire du terme – sont en principe non détonants, poursuit l’AF3P. Elles sont constituées d’un mélange, dans des proportions très variées, de produits explosifs qui peuvent être individuellement détonants ou non, et, assez souvent, de divers éléments non explosifs tels que produits chimiques, métaux ou oxydes métalliques en fonction de l’effet recherché.»

Comme le résument plusieurs de nos interlocuteurs, la différence entre un explosif, qui détone, et une composition pyrotechnique, qui ne détone pas, se joue donc principalement sur la vitesse de l’onde de choc. Schématiquement, si elle est très rapide (plus de 330 m/s, soit environ la vitesse du son), on parle de détonation. Sans quoi, les pyrotechniciens utilisent le terme de déflagration, a priori plus approprié pour décrire l’effet des compositions pyrotechniques.

Hexocire

On sait que la GLI-F4 contient de la tolite, «un explosif mieux connu sous le nom de TNT», écrivait Libé il y a un an : «L’arme est composée d’une capsule de gaz lacrymogène, mais surtout de 26 grammes de TNT et 4 grammes d’hexocire, un autre explosif utilisé pour l’amorçage.»

Concernant la GM2L, il n’y a par contre pas de certitudes. Chez les observateurs des techniques et matériels du maintien de l’ordre, la composition fait l’objet de deux hypothèses différentes.

D’un côté, on lit depuis plus d’un an que la GM2L contient principalement de l’hexocire, dans des quantités largement supérieures à celle présente dans la GLI-F4. Il y en aurait 58,4 grammes, selon la brochure consacrée aux armes du maintien de l’ordre du collectif Désarmons-les mise à jour au printemps 2019.

Le chiffre est repris tel quel ou revu à la baisse… Parfois avec quelques précautions. Comme en témoigne ce rectificatif d’un journaliste qui s’intéresse au sujet : «Il y a bien 48 grammes de matière active pyrotechnique mais en fait rien ne dit qu’il s’agit d’hexocire. C’est l’agent utilisé dans beaucoup de produits Alsetex cependant rien ne confirme à 100% que c’est celui présent dans la GM2L.»

Désarmons-les ne nous a pour l’heure pas précisé ce qui lui permet d’écrire que la GM2L contenait de l’hexocire.

Poudre noire

L’autre hypothèse est que cette grenade contiendrait de la «poudre noire». C’est ce qu’écrit le Parisien : «Selon nos informations, sa composition serait à base de "poudre noire", dans un mélange déflagrant de soufre, de nitrate de potassium et de charbon de bois comparable à la composition des pétards de type "Mammouth".»

L’ancien général de gendarmerie Bertrand Cavallier assure lui aussi à CheckNews que la GM2L fonctionne grâce à une composition pyrotechnique proche de la poudre noire. Il dit s’appuyer sur des sources internes aux forces de l’ordre.

Un élément du document du fabricant Alsetex fait pencher la balance en faveur de la «poudre noire» plutôt que de l’hexocire. Sur un plan de coupe de la GM2L, on lit que le principal élément du réservoir interne de la grenade est une «composition oxydo-réductrice déflagrante», c’est-à-dire selon l’AF3P «le mélange d’un oxydant avec un réducteur».

«C’est la combinaison des deux produits qui donne le caractère explosif au mélange, les composants de base n’étant pas explosifs pris isolément», poursuit notre interlocuteur. Qui ajoute que cette mention d’une «composition oxydo-réductrice déflagrante» invalide a priori l’hypothèse de l’hexocire : «Le terme "déflagrant" est employé pour les produits explosifs ayant une vitesse de décomposition rapide (jusqu’à plusieurs centaines de m/s) et produisant de ce fait un dégagement gazeux violent avec des effets sonores et dispersifs importants. Ces effets sont toutefois sensiblement moins violents que ceux des "explosifs" proprement dits, dont la vitesse de décomposition est dix fois plus rapide. L’hexocire ne peut en aucun cas être assimilée à une composition oxydo-réductrice, l’hexogène [explosif composant l’hexocire, ndlr] seul étant déjà un explosif.»

«Elle peut vous arracher les doigts»

Le spécialiste de l’AF3P – qui ne croit donc pas en l’hypothèse hexocire – pousse l’exégèse des documents d’Alsetex plus loin, en mettant également en cause l’hypothèse de la poudre noire à proprement parler : «Au sens strict, la poudre noire fait partie des compositions oxydo-réductrices (oxydant nitrate de potassium, réducteur charbon et soufre), mais n’est habituellement pas nommée dans cette catégorie par les professionnels, et elle n’est donc très probablement pas utilisée dans la GM2L.» Et de s’essayer au pronostic : «Il est plus probable que ce soit une composition pyrotechnique à base de chlorate ou perchlorate de potassium et d’un composé métallique (magnésium, aluminium ?), du genre de celles utilisées dans divers artifices de divertissement.»

Plusieurs de nos interlocuteurs ont d’ailleurs comparé la GM2L et sa «composition pyrotechnique» à des artifices disponibles dans le commerce, comme des gros pétards.

La certitude, c’est que ce débat technique – que l’opacité du fabricant et du ministère de l’Intérieur, rend difficile à trancher avec certitude – ne revient en aucun cas à nier la dangerosité de la GM2L. «C’est un armement qui se rapproche, en termes de composition, de ce qui peut être utilisé dans le civil, commente l’ancien général Cavallier. Mais comme pour un gros pétard, du style Mammouth, elle peut vous arracher les doigts si elle explose dans votre main.»

Chez l’ex-gendarme comme au service com de la police nationale, on insiste d’ailleurs sur les règles d’utilisation de cette grenade. Classée comme arme de force intermédiaire, elle ne peut être employée, théoriquement, qu’en dernier recours et de manière proportionnée.

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