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Lors des obsèques de Michou, vendredi à Montmartre.
Photo Alain Jocard. AFP

Obsèques de Michou : «Au moins, ça change des hommages aux Invalides !»

Vendredi matin à Montmartre, environ un millier de personnes a salué la mémoire du «prince de la nuit», mort à 88 ans. Choses vues et entendues.

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Un témoin certifié du XVIIIe arrondissement de Paris, potentiel voisin de Michou, feu le prince de Montmartre, se lance dans une oraison funèbre : «Michou était gentil, généreux, toujours souriant.
– Vous le connaissiez ?
– Non.»

Mais le quinquagénaire en blouson aviateur et pin’s doré du Concorde, repéré vendredi dans la foule des obsèques, connaît l’essentiel du suzerain des cabarets, mort dimanche d’un malaise respiratoire, à 88 ans. «Grand cœur», «gentil», reprend à l’unisson le millier de présents, dont certains ont fait la queue plus de deux heures pour ne jamais pouvoir entrer dans l’église Saint-Jean, en surplomb de Pigalle. Un discours pendant l’office ajoute un synonyme plus à la mode, «bienveillant». L’affaire a des allures de funérailles de chef d’Etat : trois rues sont bloquées, le service de protection de l’Elysée chasse un riverain perché sur une poubelle, une policière porte en personne une gerbe «Repose en paix» offerte par la chanteuse Michèle Torr.

Tenue napoléonienne et tournée de bus

Un «hou !» s’élève quand apparaît Brigitte Macron, elle qui avait rencontré Michou une semaine avant sa mort et arraché pour lui une place à l’hôpital – tandis que Monsieur fait fermer les lits. «Pas de "hou !" ici», coupe une voix. Chez Michou, tout le monde est gentil. «Il a tellement fait pour nous», explique une dame d’un âge certain, rappelant les bonnes œuvres aussi efficaces que pudiques : les dons à l’association dédiée aux enfants pauvres P’tits poulbots – certains défilent en tenue napoléonienne devant le corbillard bleu électrique, sa couleur fétiche ; la tournée de bus qui «ramassait chaque jeudi» les mamies du quartier pour leur offrir un dîner et spectacle… La dame soupire : «Dommage que je sois née dans le XIXe arrondissement, je n’ai jamais été invitée !»

Le carrousel devant l’église s’est arrêté, un portrait de Michel Catty (son véritable nom) est déroulé sur un bateau viking. Comme dans tout enterrement, on cause de soi : «Moi, il m’a téléphoné le lendemain que je sois allée chez lui. Il prenait toujours des gens au hasard sur la liste pour savoir si on a aimé.» «Moi, il m’a offert le champagne.» Un riverain raconte l’histoire d’un millionnaire demeuré «humble» : «Il est né pauvre [à Amiens, de père inconnu et d’une mère ouvrière, ndlr]. Il n’a jamais oublié d’où il vient. C’est rare de penser aux pauvres, de nos jours.» Une femme appuie : «Il y a aussi Catherine Deneuve qui a vendu ses costumes aux enchères, non ? A part eux, je ne vois pas trop.» Hormis la quinzaine de VIP (Anny Duperey, Hervé Vilard, Jean-Jacques Debout, Helena Noguerra, Bernard Montiel, Patrice Laffont, Claude Lelouch, Alain Juppé…) entrée dans l’église, le carré des «amis» (Michou ne disait jamais «clients»), fans et curieux, semble classe très moyenne, retraite à bouts de ficelle. La France Michou ?

«Que son enterrement soit joyeux»

«Je vous demande à tous de fermer les yeux et repenser à un moment de joie avec Michou», déclare le curé. Rappelant l’une des dernières volontés du mort : «Que son enterrement soit joyeux.» Un homme en blouson de cuir : «Au moins, ça change des hommages aux Invalides !» La légèreté fait écho au personnage. Michou offre un dernier spectacle. Fastueux et gratuit. Une messe retransmise par haut-parleurs sur le perron, mais sans écran géant. La playlist démarre sur une tonalité grave («Ô Seigneur, en ce jour»), quelques-uns protestent : «On n’est pas venus pour ça.» Puis, Dieu se mélange à des souvenirs de champagne, drag-queens et autres canailleries de purgatoire. Enfin, le cercueil est conduit au sommet de Montmartre, au cimetière Saint-Jean. La stèle de Michou est gravée dans le même style que la devanture de son cabaret.

Le prince ne laisse aucune œuvre artistique ou morale majeure. Ni livre (hormis sa biographie parue en 2017), ni chanson inoubliable, ni spectacle éblouissant (le show en play-back conçu en 1960, étiqueté «travesti» puis «transformiste», avait pris un coup de vieux). Ni engagement politique puissant : rare figure homosexuelle revendiquée à son époque, Michou n’avait cependant jamais milité pour les droits LGBT. Mais il remplissait son office à merveille. S’habiller de bleu flashy jusqu’aux lunettes fabriquées par le designer de Polnareff, trinquer chaque soir avec ses «amis», blaguer dans des émissions radio, prendre la pose pour les centaines de selfies au débotté… Insouciant dans un monde d’enclumes. «Par contre, ce n’est pas sympa qu’il exige de fermer le cabaret après lui», déplore une femme «venue de la tour Eiffel». Un habitué lui répond que l’endroit pourrait devenir un musée. «Bonne idée. Par contre, on y mettra quoi, dans ce musée ?»