Après plus de 20 ans d'utilisation en Belgique, le détecteur de mensonges entre dans la loi

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Après plus de 20 ans d'utilisation en Belgique, le détecteur de mensonges entre dans la loi
© HERWIG VERGULT - BELGA
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Bertrand Renard a participé à l'élaboration de la première circulaire sur l'utilisation du polygraphe en Belgique
© INCC

En terme moins familier, on ne dit pas détecteur de mensonges mais bien polygraphe. Un outil qui ne sert pas que dans les films à suspense puisque la Belgique est l’un des rares pays d’Europe à utiliser le polygraphe.

Cela fait plus de 20 ans que des policiers formés spécialement à cette technique l’utilisent environ 450 fois par an. Jusqu’à présent, ils le faisaient sur base d’une circulaire ministérielle (de 2003) encadrant l’utilisation du polygraphe. Hier le parlement fédéral a approuvé une proposition de loi donnant un cadre légal au détecteur de mensonges.

On ne peut pas parler d’un votre franc et massif en faveur du texte puisque 53 députés (CD & V, N-VA, Open VLD, MR) ont voté pour, mais 77 se sont abstenus (PS, SP.A, Ecolo_Groen, Défi, cdH, Vlaams Belang). Il faut dire que cet outil a toujours fait polémique.

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Bertrand Renard a participé à l'élaboration de la première circulaire sur l'utilisation du polygraphe en Belgique - © INCC

Pour y voir plus clair, nous avons posé quelques questions à Bertrand Renard, de l’Institut national de criminalistique et de criminologie. Il avait participé à l’élaboration de la circulaire de 2003.  

Comment est-ce que le polygraphe est arrivé en Belgique ?

C’est dans le dossier des Tueurs du Brabant que l’on a commencé à utiliser le polygraphe. C’était une situation exceptionnelle, des faits graves et il n’y avait pas de suspect à confondre avec des preuves matérielles. Donc le dossier était extrême.

Les magistrats qui ont voulu utiliser le polygraphe pour cette enquête ont été assez convaincus. Par la suite, ils se sont en quelque sorte fait les porte-drapeaux de cet outil en Belgique. Fin des années 90, on a commencé à se demander si l’on pouvait l’utiliser dans d’autres dossiers, toujours graves, avec des suspects qui nient et pas de preuves matérielles. C’est ainsi que d’autres magistrats s’en sont saisis dans d’autres affaires complexes.

Le ministre de la justice de l’époque a ensuite décidé de faire une circulaire ministérielle pour définir les cas dans lesquels on pouvait utiliser le polygraphe. La circulaire sera adoptée en 2003.

Comment fonctionne le polygraphe ?

Ce n’est pas très compliqué. Ce sont des techniques que l’on utilise en médecine. Il s’agit de capteurs qu’on met sur le corps d’une personne et qui mesurent des paramètres physiologiques comme le rythme cardiaque, la tension, la sudation ou encore la respiration. Le croisement de ces paramètres est rapporté sur un graphe, d’où le nom polygraphe, qui permet de voir si, à des moments précis, il y a des changements de paramètres. On considère que si quelqu’un ment, ça génère un stress qui sera visible dans ces mesures physiologiques. L’interrogatoire avec le polygraphe dure environ 15 minutes mais la préparation du test peut durer plus d’une heure. Ce temps permet de mettre la personne en condition, de calibrer aussi la machine sur la personne pour tenir compte des particularités de chacun.

Le polygraphe a aussi des détracteurs. Quels sont les principaux doutes ?

La question importance est de savoir si ce que l’on mesure est nécessairement du stress lié à un mensonge. Il peut il avoir beaucoup de raisons qui expliquent que les paramètres bougent. D’où les questions sur la fiabilité de ce test. J’ai moi-même assisté à un interrogatoire avec un polygraphe qui établissait un mensonge. Le suspect niait avoir été dans un immeuble au moment d’un meurtre. Mais cela n’avait rien à voir avec le meurtre, il le niait parce qu’en fait, il allait voir sa maîtresse.

Ce n’est pas parce que l’outil est scientifique, que la vérité est absolue. Le polygraphe peut aussi être instrumentalisé.

Les policiers qui utilisent le polygraphe estiment que celui-ci est fiable à 99%. Or les chiffres sur lesquels on se base sont issus d’études faites en dehors du contexte judiciaire, par exemple sur des GI de l’armée américaine qui étaient obligés de faire le test et pour lesquels il n’y avait pas d’enjeu. Ces études ne sont donc pas transposables au système judiciaire car l’enjeu n’est pas le même. Depuis vingt ans, le polygraphe a été utilisé des milliers de fois en Belgique sans qu’on ait jamais fait une évaluation scientifique de son usage. C’est d’autant plus important qu’il est utilisé dans des affaires graves, avec atteintes à la personne, décès ou viol, donc des affaires qui peuvent entraîner de lourdes condamnations.

Le polygraphe ne fait donc pas l’unanimité. La Belgique est l’un des seuls pays à l’utiliser et d’autres pays l’ont rejeté comme la France ou les Pays-Bas qui ont décidé de ne pas y avoir recours suite à des analyses scientifiques.