Le progrès en quête de nouveaux modèles économiques
by Natasa LaporteFace à la menace climatique, aux bouleversements technologiques et aux risques financiers et sociaux, l’économie de marché et la société doivent se réinventer. « Humaniser le progrès » : telle était l’ambition du Parlement des entrepreneurs d’avenir, qui a réuni entreprises engagées, chercheurs, élus et acteurs associatifs, les 22 et 23 janvier à Paris, pour son dixième anniversaire. Tous rivalisent d’idées et d’initiatives pour faire progresser l’éco-responsabilité.
Tic-tac, tic-tac... A l'heure où l'horloge climatique remet en question nos modes de production, d'échanges, de déplacements, de consommation... peut-on encore croire au « progrès » ? Comment espérer aujourd'hui une amélioration du bien-être de tous et une réduction des inégalités ? Né dans le sillage de la crise des subprimes, le réseau Parlement des entrepreneurs d'avenir, armé désormais d'un « Manifeste pour refonder le progrès », a placé cette question au cœur des débats organisés pour fêter ses dix ans, les 22 et 23 janvier, au siège de l'OCDE.
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« Le progrès technologique ne permet pas forcément le progrès social. J'aspire à un progrès d'échange, qui rassemble, crée du lien entre les individus et permet le partage de connaissances et de bonnes pratiques », a lancé Nataly Fillon, vice-présidente de l'association Unis-Terre et cheffe de projet Students' COP, lors d'un débat d'ouverture qui a rassemblé des acteurs du monde économique, scientifique, politique et associatif. « Le mot progrès a disparu des discours publics », au profit de « la rhétorique de l'innovation », a déploré de son côté le physicien et philosophe Etienne Klein. Pour ce scientifique, « il faut que le futur qu'on configure soit crédible et attractif ». Car il n'est pas automatique, selon lui : il se travaille et réclame des efforts.
Le business as usual voué à l'échec
Oui, nous pouvons créer un progrès pour tous les citoyens du monde sans perturber le climat, perdre la biodiversité ni dégrader les terres : c'est la conviction de Sir Robert Watson, chimiste spécialisé dans les sciences de l'environnement et président de la Plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). « Nous avons besoin de la bonne combinaison de politiques, tant municipales que fédérales et globales, d'une utilisation appropriée des technologies et d'un changement de comportements. Les humains doivent reconnaître qu'ils font partie de la nature », a-t-il déclaré. Condition sine qua non à cet optimisme : placer la nature au centre des débats et engager une transformation en profondeur. « Le business as usual échouera lamentablement, sapant le bien-être des générations actuelles et futures », alerte le scientifique.
Les leviers économiques du progrès
Concrètement, quels sont les leviers économiques disponibles pour actionner ce progrès ? Pour l'économiste Tim Jackson, le point de départ réside dans l'investissement. « Il faut s'assurer que ceux qui investissent de manière durable - et il existe un grand nombre d'excellents exemples de banques, d'investisseurs, de fonds et d'épargnants qui font le choix délibéré de le faire - soient avantagés et non pas pénalisés par le système », a-t-il expliqué. De même, selon l'auteur de « Prospérité sans croissance : la transition vers une économie durable » : il faut s'assurer que le système économique et les gouvernements fournissent des services universels de base, tels que l'alimentation, l'eau et le logement - un point fondamental pour persuader la population qu'un tel nouveau modèle est meilleur que l'actuel.
Autre piste, relevée par Robert Watson : il faut supprimer ou rediriger les subventions à l'agriculture, l'énergie et les transports, qui favorisent pour le moment des pratiques non durables, et internaliser les externalités environnementales et sociales.
« Lorsqu'on brûle le charbon pour produire de l'électricité, le prix de cette énergie est sous-estimé : il ne prend pas en compte les implications sociales et les dommages environnementaux », a-t-il fustigé. « Déterminer le vrai prix nous orientera davantage vers des technologies durables. Nous devons trouver un système économique juste et nous assurer que les ministres des Finances appréhendent aussi la valeur du capital naturel ».
Eco-responsabilité : les entreprises passent à l'acte
Heureusement, la prise de conscience par le monde financier et économique avance. D'après le dernier rapport du Forum économique mondial sur les risques, les cinq premiers cités par les chefs d'entreprise sont tous environnementaux... De plus en plus d'entreprises passent à l'action et intègrent les enjeux environnementaux et sociaux dans leurs activités : elles étaient nombreuses à venir au Parlement des entrepreneurs d'avenir pour témoigner de leur implication dans un progrès éco-responsable. Des pionniers de modèles économiques alternatifs, bien sûr, tels que le réseau de magasins de produits bio Biocoop (C.A. : 1,2 milliard d'euros), dont le président, Pierrick de Ronne, souligne que « les entreprises ont un rôle important dans la transition et la mutation qui doit s'engager aujourd'hui », de même que Veja, dont la basket verte et équitable suscite l'engouement du public, ou le gestionnaire d'actifs Sycomore, devenu le premier gérant à mission. Ce pionnier de la finance durable est à l'origine d'une métrique (Net Environmental Contribution) open source qui aligne activités économiques et transition écologique et énergétique. « Un chemin considérable a été parcouru depuis dix ans. Il y a de moins en moins d'entreprises réticentes », a d'ailleurs relevé la fondatrice du fonds, Christine Kolb.
Lumière biologique, vêtements à partir de déchets d'océan : revue d'innovations
Et il ne faudrait pas oublier les startup qui, elles aussi, veulent transformer leurs secteurs grâce à leurs innovations. La jeune marque de vêtements espagnole Ecoalf a ainsi lancé un projet fondé sur des déchets de l'océan. « Nous avons commencé avec trois pêcheurs dans un port. Aujourd'hui, nous travaillons avec plus de 3000 pêcheurs qui sortent plus de 500 tonnes de déchets du fond de l'océan », a expliqué Javier Goyeneche, le fondateur de la griffe, qui les recycle ensuite pour les transformer en fil pour la production de tissus et de vêtements.
La biotech Glowee s'est, elle, illustrée grâce à son idée lumineuse de produire de la lumière biologique à partir de micro-organismes naturels. Une alternative à l'électricité 100 % biodégradable que la pépite ambitionne de démocratiser dans le paysage urbain : elle a récemment signé son premier contrat, avec la ville de Rambouillet, pour un mobilier urbain.
Autre jeune pousse, Zei a conçu un algorithme qui automatise la création d'une feuille de route pour les entreprises, leur permettant de progresser dans leur démarche à impact environnemental et social positif - une « yuka de l'écologie », en quelque sorte, pour pouvoir comparer l'engagement responsable des marques. Autant d'initiatives qui illustrent bien qu'un nouveau progrès est déjà en marche...