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© Facebook / Cour Grand-Ducale
Luxembourg - Gestion de la cour Grand-Ducale

"Les décisions les plus importantes [...] sont prises par la Grande-Duchesse"

"Il faut réformer le fonctionnement de notre Monarchie" résume Jeannot Waringo, dans son rapport révélé ce vendredi. Il y qui consacre un long chapitre à la gestion des ressources humaines à la Cour Grand-Ducale.

"La gestion des ressources humaines soulève de nombreuses interrogations" estime Jeannot Waringo, représentant spécial du Premier Ministre auprès de la Cour grand-ducale et ancien directeur de l'Inspection générale des finances, dans un long rapport (44 pages).

"Dès les premiers jours de ma présence au Palais, j’ai senti une certaine anxiété auprès des collaborateurs, comme l’anxiété d’être réprimandé ou de perdre leur emploi. J’ai senti une certaine peur du blâme, sans que les collaborateurs aient eu besoin d’exprimer ouvertement leurs sentiments. Il y a des signes qui ne trompent pas. J’ai remarqué, à tort ou à raison, que dans les échanges et discussions entre collègues, la jovialité et l’humour sont rares. Chacun est sur ces gardes et pèse ses paroles" écrit-il. "Un autre signe qui ne trompe pas est le nombre élevé de départs. Normalement les collaborateurs quittent très rarement leur emploi par pur plaisir." Il confirme ainsi, chiffres détaillés à l'appui que sur les cinq dernières années 11 personnes ont été licenciées, 16 ont donné leur démission et 16 autres ont été mutées dans une autre administration. Avec les résiliations de période d'essai, ce sont en tout 51 personnes qui ont quitté leur poste alors que la Cour emploie au total quelque 110 personnes.

NON-DITS ET RUMEURS

"Un autre signe est pour moi la communication interne qui, d’après ce que j’ai pu voir et entendre, est quasiment inexistante. Les responsables administratifs ne communiquent que très rarement en interne ce qui explique que le personnel n’est guère informé au sujet des développements au sein de la Cour."

"J’ai rapidement remarqué que les problèmes ne sont pas mis sur la table pour être discutés sereinement. La conséquence en est que le quotidien est rythmé par des non-dits et par des rumeurs. La conséquence en est également que les collaborateurs ont, pour certains au moins, le sentiment de ne pas être respectés alors qu’ils s’investissent pleinement dans leur travail."

Un autre signe d’une telle atmosphère est très souvent le fait que les Chefs prennent leurs distances vis-à-vis du personnel et expriment leurs préférences à l’égard de ceux et de celles qui sont moins critiques.

"Tout ça sont pour moi des signes révélateurs qui ne trompent pas. Il faut que les collaborateurs se sentent de nouveau à l’aise, qu’ils n’aient plus peur d’être réaffectés à un autre poste ou d’être licenciés".

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© Cour grand-ducale / Sophie Margue

D'après les informations concordantes que j’ai pu recueillir, au cours de ma mission, auprès de très nombreux collaborateurs anciens et actuels de la Cour, les décisions les plus importantes dans le domaine de la gestion du personnel que ce soit au niveau du recrutement, de l’affectation aux différents services ou encore au niveau du licenciement sont prises par S.A.R. la Grande-Duchesse.

"Je voudrais dire très honnêtement et au risque d’être mal compris que dans la chaîne décisionnelle du Palais, et surtout dans le domaine de la gestion du personnel, le rôle de la Grande-Duchesse qui exerce une fonction purement représentative ne devrait pas être un sujet de discussion" ajoute-t-il.

"Il faut réformer le fonctionnement de notre Monarchie sur ce point essentiel. Il n’y a, à mon avis, pas d’autre solution" conclut-il dans ce chapitre sur les ressources humaines.

RÉFLEXIONS ET PROPOSITIONS

"L’analyse de la situation actuelle s’est relevée être plus difficile que prévue en raison de l’absence d’un organigramme unique et formellement approuvé de toutes les activités de la Cour."

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Le château de Colmar-Berg, résidence de la famille grand-ducale© Roland Miny

Le rapport ne se contente pas de constater les problèmes, mais il donne également des pistes de réflexion pour réformer la gestion des ressources humaines. Ainsi, il estime que la "pièce centrale [du processus de recrutement] doit incontestablement devenir la personne du Maréchal de la Cour en collaboration avec le Secrétaire de l’Administration des biens".

L'état actuel des effectifs, la description des postes à pourvoir, le respect du cadre budgétaire, la transparence du processus et des décisions doivent régir tous les recrutements. "Étant donné que les rémunérations de l’ensemble du personnel officiel de la Maison du Grand-Duc sont à charge de l’État, je suis d’avis que tous les projets de recrutement et de licenciement, devraient être soumis à l’accord préalable du Premier Ministre."

UN FINANCEMENT DE LA COUR À REPENSER

En incluant la "Liste Civile" (frais de personnel, de bâtiments de la Cour, des réceptions...) et les frais de représentation de la monarchie, le Grand-Duc reçoit 1.241.590€ pour l'année 2020. Une somme qui ne prend pas en compte les 7.740.923€ pris en charge par le budget de l'État pour "couvrir les frais de rémunération du personnel de la Cour qui ne sont pas couverts par la Liste Civile".

"Le total des crédits qui sont affectés au financement des dépenses du personnel officiel de la Cour s’élève donc à 8.982.513 euros pour l’exercice 2020." Un montant qui exclut les dépenses financées par d'autres départements ministériels.

Le rapport Waringo pointe notamment les problèmes posés par les dotations et la Liste Civile, qui pourraient conjointement contribuer aux rémunérations de la Cour. En comparant l'organisation financière de la Cour grand-ducale avec celle de la monarchie belge, et en tenant compte de la nécessite de conserver une Cour prestigieuse (c'est aussi l'image du Luxembourg et de son chef d'État qui sont en jeu) Jeannot Waringo recommande de revoir son financement.

Ainsi, les revenus du Grand-Duc pourraient être scindés en deux parties distinctes: 

Plus globalement, l'ensemble de la gestion financière et comptable de la Cour serait intégrée dans une nouvelle institution appelée la "Maison du Grand-Duc". En plus d'y définir et d'y regrouper les missions officielles du Grand-Duc, elle inclurait ses missions constitutionnelles et sa mise en place ne nécessiterait pas de révision de la Constitution. Selon le Représentant spécial du Premier ministre, elle permettrait aussi de simplifier la gestion du personnel et leur attachement en temps qu'"employés officiels" et "employés privés".

LA RÉPONSE DE LA COUR

Le Maréchalat de la Cour a envoyé un communiqué en réaction au rapport: "La Cour grand-ducale a pris connaissance du rapport sur l’exécution de la mission de Jeannot Waringo, représentant spécial du Premier ministre. Dans un souci d’une plus grande transparence et de modernisation, la Cour contribuera de manière constructive à la mise en oeuvre des améliorations proposées dans ce rapport".