Vision par ordinateur : comment l'Intermarché d'Amiens est devenu le lab de la start-up Belive

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Vision par ordinateur : comment l'Intermarché d'Amiens est devenu le lab de la start-up Belive© Belive

Tout a commencé par… une histoire de voisinage. Dans la Somme, Belive.ai, filiale d’Ageco Agencement – société spécialisée dans les solutions d’aménagement pour le retail – met au point des technologies de vision par ordinateur destinées au commerce. Parmi celles-ci, Liveshop, qui permet via des caméras installées en rayon de repérer les anomalies, liées par exemple aux ruptures ou aux prix. La jeune société, créée en janvier 2019, cherche à améliorer cet outil, qu’elle juge, à raison, prometteur.

Lutter contre les ruptures, une problématique complexe

A quelques mètres derrière une grille, l’Intermarché d’Amiens, dirigé par Pascal Tauvel. "Nous sommes simplement allés voir l’adhérent", explique François Company, cofondateur de la jeune pousse. De son côté, Pascal Tauvel se souvient "d’une présentation rafraîchissante, novatrice. En discutant avec eux, j’ai rapidement compris toutes les applications métiers de leur solution."

Le constat est simple : comment lutter contre les ruptures de produits en magasin, qui coûtent, selon les différentes estimations, 8% du chiffre d’affaires en moyenne ? "Soit le produit est manquant en rayon parce qu’il n’est plus disponible, soit il est quelque part, dans le magasin. Mais comme il est mal placé, il n’est pas vendu, constate Pascal Tauvel. Les premières personnes qui constatent les ruptures en magasin, ce sont les clients."

Si les retailers n’ont pas attendu le progrès technologique pour lutter contre ce phénomène – les préparateurs des commande drive peuvent relever certaines anomalies lors du picking et activer un réapprovisionnent automatique – identifier les ruptures reste un processus chronophage et laborieux. "Le responsable du fichier doit vérifier si le produit est en réserve. Si ce n’est pas le cas, on génère un bordereau de rupture… Cela fait perdre un temps considérable." Côté prix, les anomalies sont de moins en moins fréquentes grâce aux étiquettes électroniques, mais il peut y avoir des produits mal placés… et donc des erreurs sur les prix figurant en-dessous.

"Donner des yeux au magasin"

La phase d’expérimentation va durer un peu moins d’un an, et qui va faire de ce supermarché de la Somme un véritable terrain de jeu pour les équipes de Belive.ai. Elle débute par l’installation de caméras fixées sur le toit des gondoles au rayon de l’épicerie sucrée. Principe : sur les rayons, des caméras fixes qui analysent les rayons situés en face afin de repérer les anomalies. "Nous donnons des yeux au magasin", résume François Company.

La solution utilise une technologie de vision par ordinateur basée sur de l'apprentissage profond (deep learning) afin de reconnaître les produits scannés. Un réseau de neurones à convolution permet à la fois d’analyser une image mais également les anomalies de prix et toute déviation du planogramme – la représentation visuelle du rayon – par rapport à l’implantation définie par le siège. Les caméras permettent par ailleurs de repérer et de classifier d’autres anomalies : un problème de propreté (un bocal cassé sur le sol), ou un produit mal placé. "C’est un logiciel de monitoring, un support de pilotage via l’intelligence artificielle, qui permet d’agit au niveau opérationnel", poursuit François Company. Les informations sont remontées à différents niveaux, "d’abord au manager qui dispose d’un certain nombre de KPI, mais également au top-management qui peut comparer les données de différents magasins", ajoute François Company.

12 mois pour co-construire un outil opérationnel 

L'outil s’est perfectionné au sein du magasin. "Intermarché est notre laboratoire", résume le cofondateur de la start-up. Celle-ci a progressivement mis au point une solution clé-en-main incluant software et hardware. Ce n’était pourtant pas prévu au départ, la jeune pousse se concentrant à l'origine sur la partie logicielle. "Nous avons commencé par utiliser des caméras du marché, comme des Foscam. Nous avons finalement décidé de construire nos propres caméras, ce qui nous permet d’opérer les mises à jour de façon très simple, y compris en cas de déploiement à grande échelle", indique l’entrepreneur. Autre enseignement, cette fois lié à la remontée des informations. Au début, chaque anomalie faisait l’objet d’un email. "On a mis en place des filtres pour affiner l’interface", poursuit-il. Confrontée à la réalité du terrain, Liveshop devient rapidement opérationnelle et scalable, pour un coût d’expérimentation de 500 000 euros.

Après un an de test, les résultats sont là. "On constate une diminution des ruptures magasin, hors supply chain, de l’ordre de 70% en moyenne", explique François Company. Selon lui, le succès de cette cocréation doit beaucoup à la relation tissée entre l’adhérent et les entrepreneurs. "Il faut tout de suite trouver le bon interlocuteur, quelqu’un de réceptif", explique-t-il. Autre facteur de réussite, la durée de l’expérimentation, près d’un an, qui permet de proposer aujourd’hui une solution sur étagère à prix fixe. Pour un commerce de centre-ville, il faut compter 379 euros par mois ; pour un format supermarché, 579 euros et enfin pour un format hyper, à partir de 1299 euros mensuels. "Pour un seul rayon, ce sera moins cher et sur devis", détaille François Company. La solution, qui est hébergée dans le cloud, est proposée en API ou en marque blanche.

Un déploiement rapide sur le réseau Intermarché

Du côté d’Intermarché, on a également tiré des enseignements de cette collaboration. "La collaboratrice en charge du rayon était absente au moment de l’installation des caméras, et n’a pas été prévenue de la finalité du dispositif, explique Pascal Tauvel. Il est très important d’expliquer le but des caméras aux collaborateurs pour que cela ne soit pas confondu avec un dispositif de surveillance par exemple". En revanche, lorsque la solution est bien expliquée, "elle est très bien accueillie par les collaborateurs, qui sont extrêmement réceptifs aux apports de la technologie et de l’intelligence artificielle à leurs métiers".

Prochaine étape : le déploiement sur tout le magasin. Mais ce n’est pas tout, puisqu’au siège des Mousquetaires, on s’intéresse de très près à la solution. Celle-ci est même en train d’être dupliquée au sein de la STIME, la filiale informatique des Mousquetaires, à Châtillon, où le groupement mène déjà des projets avec Microsoft sur la donnée.

D’autres points de vente du réseau Intermarché devraient voir rapidement la solution mise en place. "Ce qui est intéressant, c’est la remontée des informations en live. Toutes ces données peuvent être utilisées pour identifier les mouvements des produits, les zones chaudes et froides… autant d’informations que l’on peut également faire remonter aux industriels et aux centrales d’achats au moment des négociations commerciales", se réjouit Pascal Tauvel. En résumé, une solution qui permet de coller en temps réel à la demande, mais aussi d'identifier les raisons qui poussent les consommateurs à reposer ou à déplacer un produit, ou à délaisser carrément un rayon ou une offre.  

Belive.ai n’est évidemment pas la seule entreprise sur ce créneau. Aux Etats-Unis, certains acteurs se positionnent sur les drones d'intérieur, comme Pensa ou Gather. Pour traquer les ruptures, d’autres, à l’instar de Walmart, se tournent vers les robots de Bossa Nova, qui circulent dans les rayons. L’un des avantages de Belive.ai est de pouvoir être actionné même en cas de forte affluence, tout comme la solution de caméras mobiles des Texans de Spacee – que L’Usine Digitale avait pu rencontrer au salon NRF – et qui mène des discussions avec un grand groupe de distribution français.

En France et ailleurs, Belive.ai multiplie les contrats

Belive.ai a la cote. De retour de NRF, où elle exposait à la fois sur le stand Business France et avec CGI au cœur de l’Innovation Lab, la jeune structure vient de signer avec plusieurs retailers, parmi lesquels Metro Canada. En France, sa solution intéresse la distribution, et Système U s’apprête à la déployer. Des enseignes non-alimentaires l’ont également contactée. Plus que l’identification des ruptures, c’est la localisation des références mal placées qui intéresse ces retailers… avec des applications jusqu’en entrepôts pour, un jour, faire le lien en temps réel entre les produits manquants en magasins et ceux disponibles en réserve.

Côté solutions, la start-up, qui a levé 4,1 millions d’euros à l’automne dernier, développe quatre autres outils fonctionnant selon le même parti-pris : l’intégration de technologies d’intelligence artificielle au mobilier, avec toujours pour objectif de rendre l’agencement intelligent. Liveroll, un panier de courses d’encaissement automatique ; Livefood, qui détecte et facture le contenu d’un plateau repas, Livepick, une armoire de stockage qui analyse son contenu en temps réel, et Livekube, une armoire de retrait qui reconnaît les colis.