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Frédérique Calandra est maire du 20e arrondissement de Paris.© Edouard Richard / Hans Lucas

Violences contre les élus : « Il y a un ensauvagement de la société »

Frédérique Calandra, maire du 20e arrondissement de Paris, revient sur les troubles qui ont perturbé sa cérémonie de vœux et sur le climat qui règne en France.

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Mardi 28 janvier, en fin de journée, alors que Frédérique Calandra la maire du 20e allait présenter ses vœux aux habitants de l'arrondissement, plusieurs dizaines de manifestants l'ont empêché de prendre la parole. Sous les cris de « Calandra dégage ! », la maire les a finalement fait évacuer de la salle, avant de reprendre ses vœux. Quelques heures auparavant à l'Assemblée nationale, la députée LREM de Seine-et-Marne Michèle Peyron expliquait à ses collègues qu'elle avait été « menacée » et « agressée verbalement » samedi 25 janvier lors d'une cérémonie de vœux.

Depuis un peu plus d'un an, les attaques contre les permanences d'élus et parfois même contre leur domicile se multiplient. Et à moins de 50 jours du premier tour des élections municipales, les agressions s'accélèrent : on ne compte plus les locaux vandalisés, les candidats intimidés, certains sont même agressés… Frédérique Calandra, ex-socialiste, qui a rejoint Benjamin Griveaux, revient sur ces événements et donne son analyse sur cette flambée de violence.

Le Point : Que vous inspire l'incident dont vous avez été victime mardi lors de la présentation de vos vœux aux habitants ?

Frédérique Calandra : De la colère mais aussi beaucoup de tristesse. Cela fait plusieurs années que la vie politique en France et en Europe se caractérise par un durcissement, voire une radicalisation des affrontements. Cela correspond à un affaiblissement très important des partis politiques traditionnels et un affaiblissement encore plus marqué de la confiance des électeurs dans la représentation des politiques. Je pense qu'il y a des gens qui veulent instaurer un affrontement radical : c'est le cas de l'extrême gauche qui cherche une confrontation directe avec l'extrême droite sans personne au milieu et particulièrement sans LREM. Accusés de traîtrise, les élus du parti présidentiel sont victimes d'une tentative de délégitimation. Ce qui est extraordinaire, c'est que ces gens, qui recourent à la violence, sont minoritaires et même de plus en plus minoritaires. En outre, alors qu'ils ne sont pas élus, ils prétendent représenter le peuple.

Quelle est votre analyse sur la multiplication des violences faites aux élus ?

Les violences faites aux élus sont des mises en scène. Comme ces gens sont ultraminoritaires, ils ne seront pas élus par le peuple. Mais ils ont compris qu'avec les réseaux sociaux ils peuvent amplifier leurs actions. Ils ont saisi que faire des manifs c'est beaucoup d'effort et qu'il faut rassembler beaucoup de monde pour peser. D'autant que depuis qu'Occurrence fait les comptages, on a compris que c'était la préfecture de police qui donnait les bons chiffres, pas les syndicats. Du coup, ils ont assimilé qu'un petit film de leurs exactions posté sur les réseaux sociaux, et dans lequel on ne peut pas les compter, était un excellent outil de communication. Les images tournées dans ma salle des fêtes et mises en ligne donnent l'impression qu'ils sont nombreux.

Cela menace-t-il la démocratie ?

Il y a incontestablement un risque de dérive. En général, les périodes où l'on se met à exercer des pressions sur des élus, où on les empêche de parler, ce sont des périodes qui précèdent des moments très difficiles pour la démocratie. J'ai été élue par les habitants de mon arrondissement, les gens qui m'ont empêché de parler n'ont, eux, pas été élus au suffrage universel…

En outre, alors qu'ils n'étaient qu'une poignée contre 400 habitants, ils expliquent qu'ils sont le peuple et que je ne suis pas légitime à parler. En me délégitimant, ils délégitiment le suffrage universel et la démocratie. En l'occurrence, ma personne n'a aucune importance, ce qui importe c'est la fonction de maire. C'est très grave, car ils montrent aux jeunes générations que la politique, c'est un cirque dans lequel celui qui crie le plus fort l'emporte. Cela signe un climat de violence extrême qui est très malsain. Mais ce qui me navre le plus c'est que personne ne dénonce leur mise en scène.

Quelles sont les solutions ?

À long terme, il y a une urgence absolue à ce que nos enfants apprennent ce que nous avons appris quand nous étions petits, à savoir comment on mène un débat et comment on confronte des idées. On ne débat pas en se hurlant ni en se tapant dessus. La violence des adultes fait écho à la violence de nos enfants qui ne savent plus discuter. En classe, le ton monte vite : ils s'insultent et surtout ils se sentent remis en question en tant qu'être humain dès que l'on n'est pas d'accord avec eux. Comme tout est « identarisé », si vous contestez l'idée de l'autre, vous le contestez lui en tant qu'être humain. C'est affolant. C'est le résultat du travail de sape des réseaux sociaux qui entraîne une perte de compréhension du second degré et de l'humour. Il est extrêmement dangereux pour un politique de faire des traits d'humour. Les gens ne le comprennent plus.

Y a-t-il un climat insurrectionnel en France ?

Il y a une tentative d'en instaurer un. J'ai le sentiment que nous sommes comme en Italie, au moment qui a précédé les années de plomb. Des gens jouent clairement l'affrontement et tentent de nous entraîner vers une insurrection. Pour cela, ils délégitiment tout ce qui fait la démocratie : le vote, le fonctionnement des institutions, l'autorité de l'État et des tribunaux. Ils le font en scénarisant systématiquement l'affaiblissement des élus, en les ridiculisant ou en les menaçant. Et je pense, en effet, qu'il y a un risque de revoir apparaître des mouvements comme Action directe ou comme les Brigades rouges. On ne vit plus ensemble : on vit côte à côte, voire de plus en plus face à face. J'ai le sentiment que l'étiolement de l'autorité publique fait que les gens se disent : « Je vais régler mes comptes moi-même parce que, de toutes les façons, personne ne viendra me défendre. » Il y a un ensauvagement de la société.

Par qui ce climat est-il alimenté ?

Au premier chef par l'ultragauche. Ce sont les black blocs, mais ce sont aussi La France insoumise et ses satellites, sans oublier un petit nombre de syndicalistes très actifs. Je pense d'ailleurs que le patron de la CGT est débordé par ce phénomène. C'est inquiétant, car même les syndicats sont touchés et délégitimés par une soi-disant base. Et il y a bien sûr des réseaux militants d'extrême droite. Car même si Marine Le Pen aimerait gagner par les urnes, elle a intérêt à ce que le pays soit chauffé à blanc. Le plus grave est que tous ces gens sont persuadés de détenir la vérité, tandis que, nous, nous sommes des monstres à éradiquer, car ce sont eux qui représentent le peuple. Le vote n'a aucune valeur à leurs yeux. Dès que nous sommes élus, nous sommes forcément des traîtres.

Y a-t-il un problème de sécurité à Paris ?

Je ne suis pas une experte de ce sujet : je ne suis donc pas la meilleure pour poser un diagnostic. Ce que je peux dire, c'est que je ne me suis pas sentie en danger mardi soir. Je ne suis pas partie, et une fois qu'ils ont été évacués j'ai repris mes vœux. J'ai fait ainsi un discours sur les valeurs de la République et sur ce que signifiait l'engagement militant au service des autres. J'ai souligné que les fauteurs de troubles n'étaient pas au service de l'autre, mais au service d'une idéologie mortifère. Ce que j'ai retenu des années 1930, c'est que celui qui oublie son passé se prépare un avenir funeste. Il faut tirer des leçons de l'histoire et celle que j'en tire aujourd'hui, c'est que nous sommes dans une période inquiétante. Et cela ne concerne pas seulement l'anecdotique envahissement de ma mairie, regardez par exemple les têtes de Macron sur les piques…

La violence appelant la violence, celles des forces de l'ordre est-elle opportune ?

C'est une question très compliquée. Je rappelle que l'on ne peut pas établir de symétrie entre la violence des manifestants et celle des forces de l'ordre. Car, dans notre démocratie, les forces de l'ordre sont dépositaires d'une violence légitime : nous remettons à nos policiers et gendarmes un droit d'exercer une forme de violence pour contenir ceux qui s'en prennent à la République. En outre, je rappelle également que toute une série de lois et de textes encadre très strictement l'usage de la force par la police, dont la doctrine d'engagement des armes est l'une des plus dures au monde. Imaginez si les débordements qu'il y a eus en France lors des manifestations des Gilets jaunes avaient eu lieu aux États-Unis… Évidemment, il y a eu des dérages ces derniers temps : des policiers ont craqué. Il ne faut pas oublier que l'objectif des casseurs est de détruire les fondements de la démocratie. Beaucoup de personnes se rendent complices de leur travail de sape en accusant uniquement les forces de l'ordre. Et là encore, la scénarisation est l'arme dont ils se servent : leur spécialité consiste à faire des films qui démarrent opportunément au moment de la charge des policiers, mais jamais avant ; ils ne montrent jamais la phase où les policiers ont été attaqués à plusieurs reprises sans bouger. En plus, comme les policiers ne peuvent pas s'exprimer publiquement, on entend juste ce que racontent les assaillants.

Comment stopper cette spirale de violence ?

Il faut une prise de conscience politique. Tous les partis politiques doivent faire front commun et réagir. Je fais partie de ces politiques qui n'ont jamais accepté que l'on agresse un élu de la République quelle que soit son appartenance politique. Je trouve la violence à l'encontre des élus inadmissible, car c'est le vote démocratique que l'on bafoue ainsi. J'ai toujours défendu tous les élus y compris ceux du RN. Récemment Stanislas Guerini a dénoncé l'agression d'un candidat LFI aux municipales dans le Nord qui s'était fait brutaliser devant ses enfants. Si les autres avaient cette noblesse d'esprit de dénoncer les agressions contre les élus de LREM au lieu de raconter que c'est bien fait pour eux, ce serait un grand pas en avant. Il faut que tout le monde prenne conscience de l'ampleur des enjeux. En ne le faisant pas, le PS, le PC et les Verts jouent avec le feu.

La violence traduit-elle la mise à mal du vivre ensemble ?

Elle traduit le séparatisme : il y a une dissolution de la société. Sans être dans le complotisme, des forces œuvrent à cette dissolution. Toutes les formes de sectarisme religieux ou politique poussent des parties entières de la population à vivre dans le séparatisme. Comme l'a dit Macron, c'est extrêmement grave quand des gens ne reconnaissent plus les lois de la République parce qu'ils pensent que les lois de leur Dieu leur sont supérieures, quand des gens appellent sur les réseaux sociaux au meurtre comme c'est le cas pour la petite Mila et qu'ils se sentent totalement autorisés à le faire par leur religion. En France, il y a de moins en moins de vivre ensemble. Mais il n'y a pas que cela. Il y a aussi une façon de faire de la politique : on découpe la société en tranches. Les partis traditionnels sont totalement affaiblis : cela entraîne un retour des sectes et des corporatismes. Certaines personnes ne militent que pour ce qui les intéresse et se moquent de tout le reste. Il n'y a plus de pensée globale. La seule chose qui les intéresse, c'est leur cause particulière. La société est en train de se déliter. Je vois bien le nombre d'habitants qui me disent : « Je me moque de ce problème. Ce qui m'importe, c'est ce que je vous ai demandé. »

Cette campagne municipale est-elle plus violente que la précédente ?

Oui ! Je n'en ai jamais vécu une comme cela : elle est beaucoup plus tendue. Les militants En marche ! qui me soutiennent et soutiennent Benjamin Griveaux sont en permanence agressés sur les marchés. On leur hurle : « Dégagez ! Vous n'avez rien à faire là. Vous n'êtes pas les bienvenus. » Cela fait des mois que cela dure, même si maintenant cela va mieux, car ils ont réussi à s'imposer en étant présents régulièrement sur le terrain. Ce qui est inquiétant, c'est qu'ils ne sont pas défendus par les militants des autres partis présents sur les lieux. J'ai été secrétaire de section du PS dans le 20e, jamais je n'aurais assisté à une telle agression sans réagir. Les socialistes, qui étaient dans la salle au moment des vœux, n'ont pas bougé le petit doigt. Ils ont juste affiché des mines contrites et ils ne sont même pas venus me voir en me disant que c'était scandaleux… C'est minable : ils n'ont aucun sens de la République.