Soudan : cette situation économique qui menace la transition
CONJONCTURE. Si, sur le plan politique, la démocratie rassure, sur le plan économique, les nombreux chantiers constituent une véritable épée de Damoclès.
by Marlène PanaraLa transition soudanaise est-elle en danger ? Si, depuis six mois, le Premier ministre Abdallah Hamdok multiplie les initiatives en faveur de la paix, celle-ci pourrait bien être contrariée par une situation économique plus que critique. Après des années de récession, le pays est étranglé par une dette colossale de plus de 60 milliards de dollars. Un chômage persistant et des pénuries chroniques de carburant et de devises étrangères assombrissent encore un peu plus le tableau. En réponse, le ministre de l'Économie et des Finances, Ibrahim Ahmed Badawi, a lancé, en septembre, un plan d'urgence en cinq axes : lutte contre le chômage, passage d'un développement humanitaire à un développement viable, stabilisation des prix et renforcement des institutions économiques. Des objectifs ambitieux, donc, mais qui risquent fortement d'être contrariés sans aide extérieure.
C'est l'avis d'Achim Steiner, administrateur du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), qui, dans une interview à l'AFP, exhorte la communauté internationale à s'impliquer dans la transition. « Le fait d'attendre trop longtemps pour intervenir vraiment et soutenir ce processus risque de se solder par un terrible prix à payer », prévient-il depuis Khartoum. « Voici un pays où la jeunesse, et en particulier les femmes, a non seulement réussi à lancer une révolution pacifique mais aussi à mettre en place un programme visant à construire un État développé, a défendu le diplomate allemand. La communauté internationale doit reconnaître à quel point ce mouvement est inhabituel et utile dans une région où abondent les nouvelles inquiétantes sur l'instabilité politique et l'extrémisme. »
Toujours sur liste américaine
Pour les États-Unis, c'est justement le Soudan qui en est à l'origine. Depuis 1993, le Soudan est en effet inscrit sur la liste des États « soutenant le terrorisme », aux côtés de l'Iran, de la Syrie et de la Corée du Nord, pour avoir notamment accueilli le chef du réseau Al-Qaïda Oussama ben Laden. Une qualification qui, de fait, dissuade les investissements étrangers. Même si, ces dernières années, Washington a quelque peu renoué avec Khartoum – en 2017, un embargo économique vieux de 20 ans a été levé –, un retrait de la liste américaine à court terme n'est toujours pas envisagé, Washington voulant s'assurer auparavant que le régime Béchir est totalement démantelé.
À l'issue de sa dernière tournée africaine, le secrétaire d'État américain adjoint aux Affaires africaines Tibor Nagy s'est dit « optimiste » sur la situation au Soudan. « Nous considérons le nouveau gouvernement du Soudan comme un partenaire très positif, avec qui nous pouvons faire des affaires. […] Nous avons des négociations actives en cours dans un certain nombre de domaines », a-t-il fait savoir lors d'une conférence de presse, le 27 janvier. Mais, pour le diplomate américain, le retrait du Soudan de la liste américaine n'est pas encore à l'ordre du jour. « Ce n'est pas comme allumer et éteindre un interrupteur. C'est un réel processus. […] Nous travaillons donc ensemble sur cette question », mais « il y a encore des problèmes épineux à résoudre », a-t-il affirmé.
Mais, pour Achim Steiner, les États-Unis se trompent. « L'histoire du Soudan en 2020 n'est pas celle du précédent gouvernement », a-t-il souligné à l'AFP, appelant le Congrès américain à accélérer ce retrait. « Nous risquons d'oublier que le Soudan […] a une histoire beaucoup plus porteuse d'espoir qu'elle ne l'a été depuis trente ans. Passerions-nous à côté d'une occasion de le soutenir ? » a-t-il averti. Au PNUD, « nous sommes décidés à intensifier notre engagement. C'est une proposition où tout le monde trouve son compte. »
Quid des institutions financières internationales ?
Outre la problématique américaine, le pays se retrouve bien malgré lui dans une situation presque inextricable. Les institutions financières internationales demandent en effet au Soudan de mettre en œuvre de profondes réformes pour relancer son économie. Des réformes impossibles à implémenter sans, justement, un coup de pouce de ces mêmes institutions. Cet été, Abdallah Hamdok a rouvert les discussions avec le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. Mais les annonces de prêts ou de plans se font toujours attendre. En cause ? Une dette contractée par le Soudan auprès de ces institutions d'un montant de 16 milliards de dollars, qu'il n'a jusqu'ici pas pu rembourser.
Et ce n'est qu'à cette condition que la Banque mondiale envisagera une aide financière, selon la représentante de la Banque mondiale Carrie Turk, qui s'était exprimée lors d'une réunion avec des responsables soudanais en octobre dernier. « Notre rôle et celui de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international est de donner des conseils plus sages que de simplement dire au Soudan "vous ne réussirez pas dans vos réformes si vous ne faites pas ceci ou cela" a d'ailleurs souligné Achim Steiner. Quand vous êtes à genoux, quand le précédent gouvernement a pillé les caisses du pays pendant des décennies, vous espérez de la communauté internationale qu'elle participe à cet effort de redressement. » Reste à savoir si elle en aura la volonté.