[Tribune] La fermeture de France-Antilles, un coup porté au patrimoine des Outre-mer
by Katia Dansoko TouréIl n’y aura bientôt plus de quotidien papier aux Antilles et en Guyane. Une aberration qui témoigne du peu d’intérêt accordé par la métropole aux régions et départements français dits d’Outre-mer.
Le quotidien France-Antilles, véritable institution et pilier de la presse écrite en Guyane, en Martinique et en Guadeloupe, verra son ultime édition paraître le samedi 1er février, qui sera vendu au profit des salariés. Ce jeudi 30 janvier 2020, au matin, le tribunal de commerce de Fort-de-France, en Martinique, a liquidé la société éditrice des trois éditions distinctes, sans poursuite d’activités, privant ces trois départements français de l’une de leurs principales sources d’informations.
On peut parler d’un véritable séisme. Un séisme auquel, jusqu’au bout, les 235 salariés du groupe France-Antilles, désormais promis au chômage, n’auront pas voulu croire. Et pourtant, depuis près de deux ans, la menace planait sur le quotidien qui avait déjà frôlé la catastrophe par deux fois.
La chute d’un groupe
Les ennuis commencent en 2014. France-Antilles Martinique est placée en liquidation judiciaire. Un an plus tard, c’est au tour de son pendant guadeloupéen. Le groupe Hersant Media, dont France-Antilles fut l’un des joyaux, cède alors les deux titres au groupe Antilles Guyane Médias. En mai 2017, la société basée en Martinique se retrouve à son tour placée en liquidation, avec poursuite d’activité pendant trois mois. En juin de la même année, c’est le grand ouf ! La petite-fille de Robert Hersant, Aude Jacques-Ruettard, arrive à la rescousse avec son groupe AJR. On connaît malheureusement la suite…
C’est d’abord en Martinique, en mars 1964, qu’est créé France-Antilles. Le journal, financé par l’État français, est destiné à relater la visite de Charles de Gaulle, alors président de la République française, dans l’île de naissance d’Aimé Césaire. D’abord un mensuel, il devient quotidien quelques mois plus tard et, en 1965, se voit doté d’une édition guadeloupéenne.
Outil de propagande au service de la métropole, France-Antilles tombera en 1973 dans l’escarcelle de Robert Hersant. L’homme politique français, passé des radicaux socialistes au gaullisme avant de rejoindre les centristes, et fondateur du groupe de presse Hersant rachète le titre pour un montant qui ne sera jamais dévoilé. Peu à peu, la ligne éditoriale s’ouvre à des enjeux plus régionaux et, bientôt, plus locaux. Le groupe France-Antilles s’étoffe par ailleurs, notamment, avec une édition guyanaise.
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Ce jeudi 30 janvier, à Baie-Mahault, où sont situés les locaux de France-Antilles Guadeloupe, nombreux sont les journalistes bouleversés, commençant d’ores et déjà à faire le grand ménage et leurs cartons.
C’est le 6 février prochain que les locaux seront mis sous scellés alors même que les précieuses archives non numérisées du quotidien reposent dans un hangar situé non loin de la rédaction. Iront-elles aux archives départementales de Gourbeyre ? Espérons-le. Car France-Antilles représente une part immense du patrimoine des Antilles-Guyane. Sans parler de la disparition d’un pilier de la démocratie locale et d’un moyen de porter la voix de départements trop souvent oubliés, tant les médias français nationaux font peu de cas de l’actualité des Antilles-Guyane en dehors des manifestations, émeutes ou ouragans dévastateurs…
L’auteure de cette tribune a été collaboratrice du groupe France-Antilles, à la rédaction de Guadeloupe, en 2014.