Cartier, Rolex : même les montres de luxe s'achètent sur Internet
Vendre des montres à plusieurs dizaines de milliers d'euros en ligne ? Si cela semblait improbable il y a quelques années encore, c'est désormais chose courante. Et même les plus prestigieuses marques s'y mettent... ou y réfléchissent.
C’est aussi simple que passer une commande sur Amazon ou eBay. Il ne nous aura(it) fallu que quelques secondes pour acquérir une montre Calibre de Cartier Diver Bleue de 42 mm en or rose, cuir et caoutchouc. Montant de la transaction (inachevée) : 23.700 euros TTC. Et elle peut être réglée par carte bancaire, par virement (plus long), voire par... PayPal. Paradoxalement, les pièces les moins chères de la collection ne sont pas disponibles à la commande en ligne. "C’est logique. Les montres les plus rares sont conservées par la maison mère qui les envoie dans ses meilleures boutiques ou à la commande", commente un employé d’une maison concurrente.
Mais qui achète sur Internet une montre à plusieurs milliers d’euros ? Un amateur fortuné, certes, mais qui souhaite être discret ou, plus prosaïquement, qui habite loin d’une boutique ou qui désire l’offrir en cadeau. Autre cas de figure, un client l’a remarquée dans un magasin. Il a hésité et l’achète finalement via le site Web de la marque. Un site marchand officiel d’une grande maison rassure par rapport à des sites qui proposent des montres, certes moins chères, mais sans la même garantie sur leur authenticité.
Pour les marques horlogères, la vente sur Internet constitue un levier de croissance potentiel important. En 2018, les ventes de montres de luxe sur Internet ont été multipliées par 4 par rapport à l’année précédente. Dans son WorldWatchReport Benchmark (WWRB), l’agence de marketing digitale DLG (Digital Luxury Group), basée à Genève et à Shanghai, estime que 1 million de visites sur des sites Internet marchands d’horlogerie se traduisent par 400 ventes effectives depuis ces mêmes sites. La cible : les millionnaires de la génération Y, en attendant ceux de la génération Z.
D’ailleurs, cette étude corrobore celle de 2017 du cabinet Deloitte : si l’achat en boutique constitue toujours l’essentiel des ventes de montres de luxe, 60% des clients réalisent une étude de marché sur Internet, comparent les modèles et se renseignent sur les prix ou l’histoire de la marque et du modèle avant de passer à l’achat. Et cela les marques horlogères l’ont compris : 32% pensent que leur boutique en ligne sera le canal de vente le plus important à horizon 2022.
Poids lourd de la montre de luxe, le groupe Richemont est le plus en avancé en matière d'e-commerce : quasiment toutes ses marques (Cartier, Montblanc, IWC, Jaeger-LeCoultre, Panerai…) disposent de leur e-boutique. Parmi les premières à avoir ouvert une e-boutique, la marque franco-suisse Bell & Ross connaît un certain succès également avec ses montres et les accessoires qu’elle destine à ses fans. En revanche, son actionnaire, Chanel, ne vend pas ses J12 par Internet.
Le Swatch Group mène une double politique : pour ses marques d’entrée de gamme et intermédiaires, il existe des e-boutiques. Mais pour ses marques de grand luxe comme Omega, Breguet ou Blancpain, tout comme pour les concurrents Rolex, Patek Philippe ou Breitling, seule la distribution classique est d’actualité. Même une marque aussi disruptive que chère comme Richard Mille n’a pas d'e-boutique. Toutefois, les sites de ces marques permettent de configurer la montre de son choix, puis orientent le client vers le détaillant le plus proche. L’achat d’une montre de plusieurs milliers d’euros ne se décide pas en quelques clics.
Quant au groupe LVMH, il compte en 2020 lancer des sites marchands, notamment pour Tag Heuer, marque prisée des millennials. Même la très chic et branchée Audemars Piguet s’intéresse à la vente en ligne. Dans les colonnes de nos confrères suisses de "PME Magazine", François-Henry Bennahmias, le patron de la dynamique manufacture basée au Brassus et qui revendique un chiffre d’affaires de plus de 1 milliard de francs de suisses par an avec 40.000 montres, résumait ainsi la situation : "Une chose est sûre: l’e-commerce ne signifie pas la fin du commerce stationnaire. C’est un outil supplémentaire pour atteindre des clients potentiels là où il n’y a pas de boutiques. (…) La vente en ligne fonctionne pour de grosses quantités. Et même dans ce cas, cela reste difficile. La profitabilité d’Amazon, le numéro un de l’e-commerce, n’est que de 2%. Donc oui, nous vendrons davantage par Internet. Mais sommes-nous une marque qui veut tout vendre via le Net? Clairement non!" D’autant que si 1 million de visites sur des boutiques virtuelles génère 400 ventes,1 million de visites en boutiques physiques déclenchent… 40.000 ventes.