Asia Argento pense que #MeToo est devenu une mode bête et hypocrite
by Marion BarletLes polémiques ne sont pas éteintes (et pas prêtes de l'être) concernant les abus sexuels dans le monde du cinéma.
Dernièrement, Adèle Haenel a publiquement dénoncé Christophe Ruggia via Mediapart, avant de porter plainte auprès de la justice, et le débat vient d'être ranimé avec la multi-nomination de J’accuse de Roman Polanski aux César, le film ayant créé la polémique lors de sa sortie.
Dans ce contexte explosif, Asia Argento a dressé un bilan acerbe du mouvement #MeToo, mercredi 29 janvier, dans une interview accordée au Monde. L'actrice et réalisatrice italienne de 44 ans a essuyé de multiples revers depuis 2017, lorsqu'elle a témoigné avoir été violée par Harvey Weinstein, allongeant la liste de ses victimes. Les faits remontaient à Cannes, dix ans plus tôt, alors qu'elle n'avait que 21 ans. Elle déclare ainsi :
«Certaines blessures m’ont changée à jamais. Je serai toujours une éclopée. »
Il faut dire qu'en supplément, elle a dû affronter des attaques de tous côtés. Quelque temps après son accusation, Catherine Breillat est intervenue en faveur de Harvey Weinstein, taxant Asia Argento de gourgandine mythomane. Ses propos sont retranscrits ici, et c'est tellement fort du café que ça vaut le détour. L'actrice a riposté sec et le débat avait tourné au règlement de compte.
Lors du festival de Cannes 2018, Asia Argento avait conspué Harvey Weinstein sur la scène du Grand Théâtre Lumière. Son discours incendiaire avait marqué les esprits, et avait parallèlement refroidi une branche de #MeToo. A ce moment, l'actrice s'est sentie exclue du mouvement, comme elle l'explique :
« [Elles] ont eu peur que j'en devienne la "leader", ce qui n’a jamais été mon intention. Elles se sont dit : "Celle-là, elle va trop loin". »
Une peur qui a été agrémentée par une affaire venue ternir le tableau déjà bien assombri. En août 2018, le New York Times a publié un article où elle était accusée d'agression sexuelle sur un mineur. Concernant cette affaire, elle réoriente le débat sur la temporalité insidieuse (mais logique) induite. La dynamique de l'agressé agresseur a permis de retourner le débat initial.
«Ça arrangeait tout le monde, y compris Weinstein et ses amis. »
Du statut de victime, elle est passée à celui de possible coupable. Pas facile de lutter contre le crime initial lorsqu'on est prise dans le tourbillon médiatique. Ceci dit, Asia Argento a commencé la résistance en amont. Elle raconte avoir lutté contre le producteur, par le cinéma même, dans son film Scarlet Diva. Elle ne pouvait pas faire plus dans les années 2000.
«Si j’étais allée plus loin, à l’époque, il m’aurait détruite. »
Entre le combat total et la réserve par crainte d'un méchant revers, comment choisir ? Le premier l'a détruite, et elle préfère aujourd'hui prendre du recul. Cette mise à distance, elle la pratique désormais avec le mouvement #MeToo, qui est allé trop loin, ou plutôt, qui est devenu un effet de mode.
« Le mouvement #MeToo est devenu un produit hollywoodien, quelque chose d’abêtissant, d’un peu feint et de bigot : un badge, une tenue de soirée, et basta. Untel dénonce untel parce qu’il lui poussait la tête quand ils faisaient l’amour… Comme s’il y avait un intérêt morbide pour la vie sexuelle des célébrités – a fortiori si elle est un peu déviante. »
Asia Argento a plus que perdu des plumes dans l'affaire, et souhaite reprendre une vie calme, sereine, après les dénonciations et les tumultes. Et même si elle déclare que « tant qu'il [Harvey Weinstein, ndlr] ne sera pas en prison, [elle] aura peur de cet homme », elle affirme qu'elle « ne se sent plus en guerre contre le monde ; [elle] a simplement envie d’aller de l’avant. »
La fille de Dario Argento, maître de l'horreur, aimerait bien en sortir. Elle préside l'édition 2020 du Festival du film fantastique de Gérardmer. On lui souhaite bon repos, dans les salles de cinéma.