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Le défenseur espagnol d'Arsenal, Héctor Bellerín, en 2017. Il a rejoint le club l'année de ses 16 ans.
Photo Justin Tallis. AFP

Brexit, foot et transferts : un sacré jeu de casse-tête

La fédération anglaise voudrait profiter de la sortie de l'UE pour limiter le recours des clubs à des joueurs étrangers, en privilégiant la formation. Mais la Premier League ne veut pas en entendre parler. L'issue du match est incertaine.

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Avec la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, le championnat anglais est à un carrefour. Devenue depuis cinq ans la ligue la plus lucrative d’Europe à la faveur de l’explosion de ses droits télé, la Premier League dépasse aujourd’hui la simple catégorie du sport pour compter désormais comme l’un des divertissements les plus suivis à travers la planète. Comment s’accommoder, alors, des restrictions dans la libre circulation des travailleurs qui surviendra avec le Brexit, sans freiner sa montée en puissance ? C’est le dilemme, encore irrésolu, qui agite les principales instances du foot anglais.

La Fédération anglaise (FA, pour Football Association), qui accorde les permis de travail pour les joueurs étrangers hors Union européenne, voit dans le Brexit une opportunité : son ambition depuis quelques années est de favoriser les jeunes footballeurs locaux, pas assez souvent titulaires dans les équipes de Premier League au goût notamment de Gareth Southgate, le sélectionneur de l’Angleterre. Ce dernier estime que l’équipe nationale pâtit de la situation. Ainsi, l’an passé, en moyenne, seuls 30% des joueurs ayant commencé les rencontres de Premier League étaient sélectionnables pour jouer avec l’Angleterre (contre 50,5% par exemple pour la Ligue 1), les clubs préférant investir dans l’achat à l’étranger que dans la formation.

«Le Brexit ne devrait pas être utilisé pour affaiblir les clubs»

La fédération a donc proposé une «solution post-Brexit pragmatique» à la Premier League, comme elle l’a énoncé dans un communiqué fin 2018, qui reste son positionnement ces derniers jours : que désormais les conditions d’obtention d’un permis de travail soient les mêmes pour les Européens que pour les non-Européens. Aujourd’hui, pour que le transfert d’un joueur sud-américain par exemple soit conclu, celui-ci doit justifier d’un certain nombre de sélections en fonction du classement Fifa (Fédération internationale de foot) de son équipe nationale. Si ce n’est pas le cas, il peut faire appel et le transfert doit alors répondre à d’autres critères, notamment que son montant soit assez haut et que le salaire du joueur soit parmi les plus élevés du club, pour être accepté. Si aucun terrain d’entente n’est trouvé après le Brexit, c’est ce genre de conditions très strictes qui s’appliqueraient à tous les joueurs européens. Cette réglementation aurait par exemple empêché des joueurs comme N’Golo Kanté (jamais capé avec l’équipe de France à l’époque de sa signature à Leicester en 2015 et transféré pour un montant assez modique) de signer en Premier League.

La proposition, plutôt avenante, de la FA s’accompagnait d’une contrepartie adressée à la Premier League : abaisser le quota de joueurs non formés localement de 17 (son niveau actuel) à 13 joueurs, sur un groupe de 25 footballeurs. «La FA estime que favoriser l’accès des joueurs étrangers au championnat, tout en empêchant une hausse de leur nombre actuel, serait bénéfique à tout le football anglais», synthétisait-elle dans un communiqué. Seulement, la Premier League a immédiatement rejeté la proposition à l’automne 2018, et campe encore sur ses positions à l’approche de ce 31 janvier. «Le Brexit ne devrait pas être utilisé pour affaiblir les clubs britanniques, ni pour nuire à leur capacité à signer des joueurs internationaux», répond-elle dans un communiqué, arguant avoir mis en place un programme pour améliorer la formation et le développement de jeunes joueurs (l’Elite Player Performance Plan lancé en 2012), tout en mettant en avant le fait que la Premier League a un pouvoir d’attraction global, que les équipes devraient refléter.

Transferts des jeunes joueurs étrangers

«Comme tout ce qui concerne le Brexit, le principal problème reste l’absence fondamentale de toute certitude», explique l’avocat Christopher Flanagan, spécialisé en droit du sport, sur cette situation en suspens. En attendant le 31 décembre 2020, soit la fin de la période de transition du Brexit, ces organisations vont devoir s’accorder entre elles, ainsi qu’avec le gouvernement, qui pourrait décider d’un statut spécial pour les sportifs dans son système de visas.

Une autre problématique qui devrait, elle, avoir des répercussions assez rapides, reste la question des transferts de jeunes joueurs étrangers. Par le passé, les clubs anglais ont profité d’une exception à l’article 19 du règlement de la Fifa pour la protection des mineurs. Celui-ci interdit les transferts internationaux de joueurs âgés entre 16 et 18 ans, sauf entre pays de l’Union européenne : c’est comme cela que les Espagnols Cesc Fàbregas ou Héctor Bellerín ont rejoint le centre de formation d’Arsenal avant leur majorité. C’est aussi grâce à cette exception que le prometteur attaquant anglais Jadon Sancho a rejoint le Borussia Dortmund avant ses 18 ans.

«En quittant l’Union européenne, cette exception ne s’appliquera plus, sauf si la Fifa change complètement son règlement, ce qui est improbable, ou qu’elle l’amende pour inclure le Royaume-Uni pendant une période de transition, mais elle n’a aucune obligation de le faire», explique Christopher Flanagan. C’est finalement sur le marché des transferts que le Brexit pourrait avoir des répercussions : «Si une période de transition est mise en place pendant le prochain mercato, ce qui est probable, les clubs devraient pouvoir être en capacité de recruter des joueurs professionnels avec la facilité et la certitude que permet la libre circulation, note l’avocat. Après cela, on ne sait tout simplement pas s’il sera si facile de réaliser des transferts.»