Asli Erdogan : le procès de tous les dangers
Convoquée devant le tribunal le 14 février, l'écrivaine turque risque neuf ans de prison pour ses activités de journaliste. Des écrivaines francophones appellent à la soutenir pour qu’elle ne le subisse pas dans le plus grand secret.
by Un collectif d'écrivaines francophonesTribune. L’écrivaine turque Asli Erdogan, infatigable militante et journaliste engagée dans la défense des droits humains, des droits de la femme et dans la défense de la cause kurde, est convoquée devant le tribunal le 14 février.
Pour rappel des faits : Asli Erdogan a passé quatre mois et demi dans la prison pour femmes de Bakirkoy (une banlieue d’Istanbul) pour motifs d’association avec une organisation terroriste, de tentative de briser l’unité de l’Etat turc et de mettre en péril la stabilité du pays. Libérée en décembre 2016, elle est placée sous contrôle judiciaire en attendant la tenue de son procès le 31 octobre 2017. Mais le procès est reporté à maintes reprises et jusqu’à tout récemment, lorsqu’un nouveau procureur le fixe pour le 14 février, soit dans deux semaines, dans le but certainement de la voir privée de soutien et de solidarité faute de temps.
Les charges retenues contre elle portent cette fois-ci sur la publication en 2016 de quatre articles, que l’on considère comme de la propagande. Elle explique dans une lettre envoyée à ses amis afin de les informer de la date de son procès : «Le plus absurde est que ces articles ont été publiés en 2016 et qu’ils n’ont alors suscité ni procès ni même une enquête. En fait, aucun de mes articles dans toute ma carrière n’a jamais entraîné de procès», ajoute-t-elle. Le 14 février, elle risque une peine de prison de deux à neuf ans. Mais cela peut s’alourdir considérablement, jusqu’à la prison à perpétuité au regard de la radicalisation de la justice et du système.
Ses torts ? Asli Erdogan était membre de la rédaction du journal légal pro-kurde Özgür Gündem, ainsi que l’écriture d’articles journalistiques faisant référence aux exactions commises contre la communauté kurde. Mais son tort n’est-il pas aussi d’avoir été distinguée internationalement depuis trois ans pour sa défense des droits humains ? Elle a reçu le prix Tucholsky du Pen Club de Suède en 2016, le Prix de la paix Erich-Maria-Remarque en 2017, le prix Simone-de-Beauvoir en 2018, et le prix 2019 d'«écrivain courageux en danger» de la fondation Vaclav-Havel.
L’écrivaine turque porte en elle un terreau inépuisable de courage, d’audace et de clairvoyance, ce qui fait de son écriture une arme puissante contre les oppressions et les violations des droits humains, contre les tortures et les emprisonnements arbitraires. Sa voix est indispensable. Sa liberté l’est tout autant. Nous avons besoin d’écrivaines de son envergure qui bousculent les consciences et dont les écrits cultivent en nous l’espoir de voir son pays et d’autres pays respecter la vie humaine, la justice, la liberté d’expression, la créativité.
Aujourd’hui, à l’approche de son procès, soyons attentifs et vigilants pour qu’elle ne le subisse pas seule et dans le plus grand secret. «Je ne veux surtout pas écrire sur cette prison, c’est un endroit où il importe peu que vous soyez mort ou vivant», avait-elle écrit en 2016 sur une feuille montrée à travers la vitre du parloir.
«Eïa Asli Erdogan !» s’écrient les voix du Parlement des écrivaines francophones, à l’instar du chœur des tragédies antiques, où cette interjection, reprise par Césaire, signifie «Allons ! Courage !»
Signataires : Cécile Oumhani, Lise Gauvin, Sophie Bessis, Fawzia Zouari, Madeleine Monette, Nassira Belloula, Suzanne Dracius, Catherine Cusset, Sema Kilickaya, Marie-Rose Abomo-Maurin, Elizabeth Tchoungui, Laurence Gavron, Emna Belhaj Yahia, Sedef Ecer, Marie-Sœurette Mathieu, Sylvie Le Clech, Michèle Rakotoson, Carole Fréchette, Safiatou Dicko Ba, Marijosé Alie, Alicia Dujovne Ortiz, membres du Parlement des écrivaines francophones.