https://www.lopinion.fr/sites/nb.com/files/styles/w_838/public/styles/paysage/public/images/2020/01/castaner_sipa_0.jpg?itok=3E62phe4
Christophe Castaner.
© Sipa Press

Nuances politiques: le Conseil d’Etat suspend la «circulaire Castaner»

Le Conseil d’Etat a estimé que ce texte transmis aux préfets pouvait « altérer le sens politique du scrutin » en portant atteinte à « l’objectif d’information des citoyens » et au « principe d’égalité » entre les partis politiques

by

La haute juridiction administrative a statué sur les référés-suspension formés par des élus LR et trois partis politiques — Les Républicains, le Parti socialiste, Debout la France — contre la circulaire du 10 décembre 2019 sur l’attribution des nuances politiques aux municipales. Elle ordonne au ministère de l’Intérieur de suspendre l’exécution des trois mesures contestées, qui ne s’appliqueront donc pas au scrutin des 15 et 22 mars. Le ministre de l’Intérieur en « prend acte ».

Une claque pour l’exécutif. Le juge des référés du Conseil d’Etat a dévoilé vendredi sa décision de suspendre en urgence l’exécution d’une partie de la « circulaire Castaner ». Il a estimé que le texte était entaché d’un « doute sérieux » dans ses trois volets litigieux : l’attribution des nuances aux seules communes de 9 000 habitants et plus ; les conditions d’attribution de la nuance « liste divers centre » pour la majorité macroniste ; le classement de la nuance « liste Debout la France » dans le bloc « extrême droite ».

A l’examen de la décision, que l’Opinion s’est procurée, la haute juridiction administrative donne raison aux oppositions sur tous leurs arguments. Elle relève d’abord que le seuil de 9 000 habitants conduit, « dans plus de 95 % des communes, à ne pas attribuer de nuance politique » et « exclut ainsi de la présentation nationale des résultats les suffrages exprimés par près de la moitié des électeurs ». Certes, 80 % des listes candidates dans ces communes ne correspondent pas aux nuances d’un parti politique, mais les préfets avaient réussi à attribuer des nuances « divers droite » et « divers gauche » aux trois quarts d’entre elles pour les municipales de 2014, « reflétant ainsi les choix politiques des électeurs ».

Ce seuil choisi par l’exécutif a donc pour « effet potentiel de ne pas prendre en considération l’expression politique manifestée par plus de 40 % du corps électoral », estiment les magistrats. Prenant à revers le ministère de l’Intérieur, qui arguait d’un objectif de finesse statistique au bénéfice du public, le Conseil d’Etat rétorque qu’« une telle limitation ne peut être appliquée au regard de l’objectif d’information des citoyens poursuivi par la circulaire », alors que celle-ci doit permettre d’« analyser le plus précisément possible les résultats électoraux sans altérer, même en partie, le sens politique du scrutin ». Il l’estime donc entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, comme le soutenaient les partis d’opposition, de nature à créer un doute sérieux sur sa légalité.

Inégalité. Le juge a bien relevé une différence de traitement entre les partis politiques. La circulaire prévoit que seule l’investiture par un parti, et non un simple soutien, permet aux préfets d’attribuer une nuance à une liste. Mais Christophe Castaner a prévu une exception à cette règle « pour les seules listes qui seront soutenues par les partis LREM, le MoDem, l’UDI ou par la majorité présidentielle ». Les résultats de ces listes « seront comptabilisés dans la nuance ‘‘divers centre’’, alors que le soutien d’un parti de gauche ou d’un parti de droite à une liste ne permet pas de prendre en compte ses résultats au titre respectivement des nuances ‘‘divers gauche’’ et ‘‘divers droite’’ ». Une entorse injustifiable qui « méconnaît le principe d’égalité », achève le Conseil d’Etat.

Enfin, les juges des référés ont estimé que le classement de la nuance « liste Debout la France » de Nicolas Dupont-Aignan dans le bloc de clivage « extrême droite » ne s’appuyait pas sur « des indices objectifs », puisqu’un tel classement ne s’explique que par le soutien apporté par le président de DLF à Marine Le Pen au second tour de la présidentielle de 2017. Il laisse à l’écart, notamment, le programme du parti et l’absence d’accord électoral conclu avec le RN.

« La circulaire sera modifiée pour tenir compte de cette ordonnance, sans renoncer à répondre aux demandes des élus locaux et à correspondre aux mutations du paysage politique français », ont communiqué Christophe Castaner et Laurent Nuñez, dans la foulée.