Présidentielle, confidences, bilan… On a regardé François Fillon sur France 2
by Solange Bied-CharretonAvant le début de son procès, l’heure était à la confidence jeudi soir sur le plateau de Vous avez la parole (France 2), où François Fillon avait choisi de s’exprimer sur la campagne présidentielle de 2017 et les scandales qui l’ont émaillée. Impressions et analyses.
« Les obstacles mis sur ma route étaient trop nombreux, trop cruels. Le moment venu, la vérité sera écrite. » Ces propos prémonitoires avaient été prononcés par François Fillon le soir de sa défaite au premier tour de l’élection présidentielle, le 23 avril 2017. Une rhétorique augurale, en forme de menace, qui laissait croire que le futur permettrait la revanche, peut-être la justice, pour expier, laver l’honneur de la droite française, confrontée à ce qui devait être sa plus grande déroute sous la Ve République. C'est par ces mots que s’est ouvert Vous avez la parole sur France 2 hier soir, l’émission politique animée par Léa Salamé et Thomas Sotto, dans laquelle François Fillon avait choisi de s’adresser aux Français, près de trois ans après son éviction de la sphère politique. Un exercice difficile, sans allié ni contradicteur pour relancer le débat ou faire la différence, dans lequel les deux journalistes ont forcé le trait psychanalytique, encouragé la catharsis et tenté d’éviter la posture sentencieuse. « Nous sommes des journalistes, nous ne sommes pas des juges. » Mais la frontière est ténue, la pratique est délicate, et la neutralité bienveillante est mise à rude épreuve.
La toile de fond ressemble à celle d'un procès
Il faut toujours faire fi du cynisme dans la mise en scène de ces huit clos organisés devant des millions de téléspectateurs, qui se retrouvent sans le vouloir à endosser le rôle de voyeurs. C’est la confession informelle d’un homme qui est attendue mais, déjà, la toile de fond ressemble à celle d’un procès. Des confidences personnelles et certaines émotives, douloureusement égrenées dans un décor d’arène, un plateau immense et froid, rouge comme la muleta du matador tendue vers l’animal qui sait sa mort certaine. Or Fillon est déjà mort, et il est venu le dire aux Français. Sa vie politique s’est interrompue en avril 2017, désormais il est ailleurs, sa reconversion professionnelle dans un fond d’investissement est un succès. Un Fillon d’Outre-Tombe ? Par certains aspects, on pourrait croire à un revenant. Le cheveu a blanchi, la voix est enrouée. Pourtant, l’homme n’a rien perdu de son flegme légendaire, celui sur lequel il a assis cette ténacité qui l’a porté durant ses quarante ans de vie politique, et jusqu’à ses fonctions de Premier ministre sous la présidence Sarkozy. Une expression aiguë de la force tranquille qui, au plus fort de la tempête des « affaires », des « gates » Fillon, lui avait permis de garder la tête haute.
Rappelons que 7 millions de Français avaient choisi de faire confiance au candidat LR, preuve s’il en fallait qu’au-delà des scandales, le programme et la personnalité de l’homme étaient présidentiables. Que pense-t-il d’Emmanuel Macron, est-il de droite ? Fillon botte en touche, il ne répond pas aux questions qui nous intéressent, elles sont politiques et il n’entend pas remettre les habits de l’homme d’Etat. Son point de vue est pourtant décelable, ses convictions se dessinent nettement. Au fond, il nous dit tout, et apparaît soudain comme un sage depuis sa retraite. A propos de la politique du président, il confie : « J’aurais fait plus fort et plus vite. » Il parle de dogmatisme en évoquant l’écologisme de Greta Thunberg, va jusqu’à la grimer en « Bernadette Soubirou », perce la dimension religieuse fanatique de la collapsologie environnementale. Il livre une analyse sans concession du repli identitaire qui frappe la société française et des violences qui émaillent l’ère macroniste. Des régimes populistes, il dira simplement qu’ils sont d’abord démagogiques. Mais encore ? La situation italienne est pour lui un repoussoir et il rend ici hommage au général de Gaulle et aux institutions de la Ve République. Une référence gaullienne qu’il assume, contrairement à cette interrogation malheureuse et restée dans les mémoires, une attaque à Nicolas Sarkozy qui s’est retournée contre lui : « Qui imagine le général de Gaulle mis en examen ? »
Il a l'intime conviction qu'il était l'homme à abattre
Mais Fillon veut d’abord revenir sur l’affaire, il veut le faire maintenant devant les Français, avant d’affronter ses juges. C’est le point nodal de l’émission. Il raconte comment le 25 janvier, tout a basculé, cite Victor Hugo pour dire la manière dont l’honneur de son épouse Penelope « a été déchiqueté ». Le souvenir de la curée autour de Pierre Bérégovoy surgit ici, et les mots de Mitterrand lors des obsèques de son premier ministre en 1993. Penelope et François Fillon ont-ils eux aussi été « livrés aux chiens » ? Rien de moins à l’en croire. S’il insiste longuement sur la violence de cette campagne présidentielle jugée imperdable pour la droite, c’est qu’il a l’intime conviction qu’il était l’homme à abattre. Que connaissent les Français de la vie parlementaire, de l’organisation de la vie politique dans son quotidien ? Savent-ils bien que la collaboration des conjoints est monnaie courante ? La « faute », selon lui, était ailleurs. Celui qui a eu la surprise d’être désigné comme candidat de la droite après les primaires semble très bien connaître ceux qui l’ont abattu. Il n’est que très peu question des costumes de Robert Bourgi, qu’il confesse regretter d’avoir accepté. Au fond, l’ennemi se trouvait au sein de sa famille politique, c’est son parti qui avait décidé de le couler. Ces considérations en disent long sur l’état de délabrement et de pourrissement d’une droite qui n’avait pas besoin du secours d’Emmanuel Macron pour se saborder. Comme dans l’effondrement du Parti socialiste en miettes, réuni derrière un Benoit Hamon culminant à 6,35 % des suffrages, le vainqueur de la dernière élection semble surtout avoir bénéficié de l’agonie des grands partis que l’avoir provoquée.
Une intuition nous vient à la fin de l’émission. Celle que l’affaire Fillon est surtout le symptôme de notre époque. Celle d’hommes et de femmes qui agissent avec insouciance, une légèreté parfois coupable, parfois criminelle, sans comprendre que les temps ont changé. L’heure est à la morale, à #Metoo, aux déclarations, à la transparence. L’heure est également à l’hystérie, au ressentiment, au tribunal médiatique. Et, surtout, à ce que l’on ne voyait que poindre en 2017, à la résurgence de la lutte des classes en France. Après la crise des Gilets Jaunes, « l’argent volé » par François Fillon apparaît comme le combustible pour enflammer les esprits de ceux qui souffrent de la situation économique. Fillon est peut-être cet homme qui, resté au XXe siècle, n’avait pas vu le vent se lever. Un rendez-vous manqué, une leçon pour l’histoire.