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En 2014, il y avait 757 Britanniques élus conseillers municipaux en France.© Riccardo Milani / Hans Lucas

Brexit : le blues des conseillers municipaux britanniques en France

BREXIT, JOUR J. Avec la sortie de l'UE, les 757 conseillers municipaux britanniques n'auront pas le droit de se présenter aux élections en mars prochain.

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« Je voulais rester pour le prochain mandat, mais je ne peux pas. » Britannique installée en France depuis douze ans, c'est le cœur lourd qu'Elaine Bastian va quitter son mandat de conseillère municipale à Blond (Haute-Vienne) sans pouvoir se représenter en mars prochain. « Je ne pourrai plus voter, je ne pourrai plus me présenter. Au moment du Brexit, je suis supprimée ! »

En tant que citoyens européens, les Britanniques peuvent voter aux municipales et aux européennes dans leur pays de résidence, et même s'y présenter. Avec 757 élus, ils représentent un tiers des conseillers municipaux étrangers, le plus gros contingent devant les Belges, les Portugais et les Néerlandais. Mais ce vendredi 31 janvier à minuit (heure française), ils perdront leurs droits électoraux, en même temps que leur pays d'origine quittera l'Union européenne. Ils pourront tout de même garder leur siège jusqu'à la fin de leur mandat.

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Petite diplomatie locale

Un crève-cœur pour ces expatriés qui ont construit leur vie en France, au point de s'engager pour leur ville. Originaire de Cambridge, Elaine Bastian s'est installée à Blond en 2008 avec son mari et sa fille après être tombée amoureuse de la région pendant ses vacances. « J'ai fait la connaissance du maire à l'école de ma fille, où il était enseignant et directeur », se souvient-elle. En 2014, il lui propose d'être sur sa liste pour les municipales.

« J'étais fière, parce que j'ai été élue, la première conseillère municipale étrangère à Blond. » Pendant ces six ans, elle a été d'une aide précieuse dans le village, où beaucoup de Britanniques ont leur résidence secondaire. « Il y a aussi un couple de Norvégiens qui ne parlent qu'anglais, je faisais la traduction pour eux. C'était comme une petite diplomatie », s'amuse Elaine Bastian.

À Saint-Caradec (Côtes-d'Armor), Sandra Sheward va elle aussi devoir faire une croix sur son engagement pour les quelque mille habitants de sa commune. « Monsieur le maire m'a demandé si je voulais me représenter, mais je ne pourrai pas », regrette-t-elle. Installée en Bretagne depuis quatorze ans avec son mari, elle a voté « Remain » au référendum sur le Brexit en 2016. « On habite ici et nous sommes très contents, c'est très triste comme situation. J'ai fait beaucoup pour la ville, je vais continuer, mais pas comme élue. »

« Je me suis engagée car je me considère comme française, je vis et travaille à Souillac, je voulais représenter les jeunes de ma ville », se rappelle Heidi Pearce, élue à 24 ans dans cette commune du Lot. Si elle a l'accent du Sud-Ouest, la jeune femme qui vit en France depuis ses huit ans est pourtant bien Britannique, et se retrouve privée de municipales. Elle ne comptait pas se représenter en mars, « mais peut-être plus tard ». « Le Brexit, je le subis », regrette Heidi Pearce, qui n'a pas pu voter pour le référendum de 2016, les ressortissants du Royaume-Uni perdant leur droit de vote après quinze ans passés hors du pays.

La nationalité française, un long combat

Seule solution pour ces expatriés qui souhaitent continuer de s'impliquer dans la vie locale de leur pays d'accueil : demander la nationalité française. Mais il faut s'accrocher pour aller au bout des démarches, car l'opération est loin d'être une simple formalité. « J'avais commencé, se souvient Heidi Pearce, mais on parle du Brexit depuis si longtemps, on ne savait pas trop comment ça allait se passer. » Maintenant que la sortie du Royaume-Uni devient concrète, elle a demandé la nationalité à nouveau, d'autant que ses enfants, nés ici, sont Français.

« Le processus pour prendre la nationalité française est long, reconnaît Elaine Bastian. Je veux être Française. Je suis prête, j'ai rempli les papiers et les formulaires, mais il faut attendre, toujours attendre. » À Saint-Caradec, Sandra Sheward s'est elle aussi lancée dans la procédure. « Mais c'est très compliqué et il est trop tard pour les élections. »

Les expatriés britanniques déboussolés

Lucy Miller, élue à Tignes (Savoie) depuis 2014, a eu plus de chance. Installée en France depuis 1992, elle a demandé la double nationalité pour ne pas perdre son droit de vote aux municipales et européennes en France, alors qu'elle n'a déjà plus le droit de voter au Royaume-Uni. Elle lui a été accordée en octobre dernier. La procédure aura tout de même pris trois ans, et encore, « parce que le maire a activé ses contacts à la préfecture. Mon rendez-vous n'était programmé qu'en septembre 2020 sinon ! »

Elle ne sait pas encore si elle se représentera en mars, mais est au moins soulagée de pouvoir le faire. « Je me sentais déjà française depuis le temps, mais je me sentais surtout européenne. » Dans cette station de sports d'hiver, Lucy Miller aura été une oreille utile pour ses nombreux compatriotes expatriés et les touristes. « Il y en a beaucoup qui m'appellent pour me demander s'ils pourront voter aux municipales. Ils sont là depuis longtemps et ils perdent ce droit, c'est très dur pour eux. »

« C'est dommage, on a travaillé pour notre commune, et on ne va plus avoir droit d'y voter alors qu'on paie nos impôts », regrette Elaine Bastian. « Vendredi à minuit, je ne pourrai plus voter ici, et en 2023, je ne pourrai plus voter là-bas [au Royaume-Uni, NDLR] non plus. » À un mois et demi des élections, elle a déjà fait le deuil de cet engagement d'élue qu'elle ne pourra plus avoir. « Moi, ce n'était que mon premier mandat, mais dans le village d'à côté, je connais un monsieur engagé depuis 18 ans. Il ne pourra pas se représenter, c'est dommage. » « On a mis notre argent ici, on a nos entreprises ici, on s'est engagés, renchérit Sandra Sheward. J'espère que l'État reconnaîtra ce qu'on a apporté. »

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