Cent jours après son investiture, le président tunisien Kaïs Saïed fait cavalier seul
Stratégie peu lisible, communication opaque, caractère indépendant… Cent jours après son investiture, le président Saïed n’est parvenu ni à clarifier sa feuille de route, ni à rompre son isolement politique.
Le feuilleton des préparatifs du sommet de Berlin sur la Libye en a inquiété plus d’un. Longtemps tenue à l’écart, la Tunisie y a été finalement conviée à la dernière minute, à l’avant-veille de la rencontre. Un affront pour Kaïs Saïed, qui décide d’adopter la politique de la chaise vide. Comme un symbole des premiers pas diplomatiques du nouveau président…
D’autant que Kaïs Saïed a à cœur, il l’a dit dès son élection, de contribuer à la résolution du conflit, exprimant sa préférence pour une solution libyenne, voire maghrébine. Bien qu’il affirme son égale distance à l’égard des deux camps, il a reçu tour à tour Fayez al-Sarraj, chef du Gouvernement d’entente nationale (GNA), et Khaled al-Mishri, du Haut Conseil d’État, tous deux basés à Tripoli. Ses démarches ont abouti au lancement par Tunis, le 24 décembre, d’une initiative pour la paix. Très peu relayée, elle a été éclipsée par l’annonce de la tenue du sommet international de Berlin.
Diplomatiquement en retrait
Kaïs Saïed a-t-il mal joué le coup ? « On peut discuter du poids militaire de la Tunisie, du Niger et du Mali, mais toute solution devrait les impliquer », plaide Béligh Nabli, directeur de recherches à l’Iris. « Vu les conséquences du conflit pour la Tunisie, Saïed aurait dû saisir l’opportunité de Berlin, quitte à se faire représenter », regrette Khadija Mohsen Finan, enseignante-chercheuse à Paris-1. « Tunis est diplomatiquement en retrait, et Saïed est inconnu de ses pairs, note l’expert en communication politique Kerim Bouzouita. Berlin eût été l’occasion de tisser des relations personnelles. Là, il se retrouve complètement à l’écart. »
Saïed est tombé dans le piège diplomatique turc
La visite impromptue de Recep Tayyip Erdogan à Tunis, le 25 décembre, consacrée, entre autres, à trouver des « moyens de coopérer » sur la Libye, avait déjà éveillé les craintes. « Saïed est tombé dans le piège diplomatique turc car ces annonces de coopération ont entamé la confiance dont bénéficiait la Tunisie auprès des belligérants libyens », décrypte Bouzouita.
Invité au sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine sur la Libye le 30 janvier, le président a préféré rester en Tunisie. Sa présence au 33e sommet de l’UA, à Addis-Abeba, les 9 et 10 février, est quant à elle incertaine.
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