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Photo d'illustration. Photo © KONRAD K./SIPA

[Edito] Brighelli - Bac : il faut savoir arrêter une (mauvaise) réforme

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Dans sa chronique hebdomadaire l'enseignant et essayiste Jean-Paul Brighelli demande au ministre de l'Éducation nationale de renoncer à la réforme en cours du baccalauréat, pour prendre un virage plus radical : la suppression une fois pour toutes de cet examen, qui a perdu toute valeur avec les années.

Malgré l’opposition d’une majorité de mes collègues, j’ai assez manifesté mon accord avec la réforme du Second cycle lancée par Jean-Michel Blanquer pour ne pas être suspect de tirer à vue sur la rue de Grenelle, ni d’opérer en douce une palinodie honteuse. Mais la nouvelle mouture du Bac, qui a tout de l’usine à gaz et se révèle, à l’usage, très difficile à mettre en œuvre dès les premières épreuves, ne suscite pas chez moi le même enthousiasme.

Peut-être le ministre et ses conseillers ont-ils confondu complexité et complication. Et cette réforme du Bac, plaisante à l’œil sur le papier, est dans les faits fort difficile à mettre en œuvre. Je suspecte le ministère de manquer de praticiens pour le conseiller…

Cette réforme du bac, avec sa dose de contrôle continu étalé sur deux ans et ses épreuves terminales maintenues mais allégées, complexifie dangereusement un examen qui mourait déjà de lourdeur.

La nature choisit toujours la solution la plus élégante — et la plus simple. Lorsqu’elle s’essaie à créer des chimères — l’ornithorynque, par exemple — elle y renonce vite et le confine dans des territoires perdus, de façon à ce que l’aventure ne se répète pas. Or, cette réforme du bac, avec sa dose de contrôle continu étalé sur deux ans (Première et Terminale), ses épreuves terminales maintenues mais allégées, complexifie dangereusement un examen qui mourait déjà de lourdeur, à tel point qu’on le donnait presque à tout le monde afin de s’en débarrasser au plus vite.

Je plaisante à peine. 90 % de réussite, avec un pourcentage chaque année plus important de mentions Très Bien (qui oserait dire, après cela, que le niveau ne monte pas ?), c’était une façon, en diminuant le pourcentage de redoublants — il faut vraiment le faire exprès, pour ne pas avoir le Bac — de pousser l’examen créé sous Napoléon aux bornes du ridicule. Sans compter qu’il était si peu pris au sérieux par l’Education Nationale elle-même que les filières un tant soit peu sélectives, des BTS aux Classes Prépas, faisaient leur marché au mois de mai, bien avant que ne tombent les résultats, donnés pour acquis.

J’ai expliqué la semaine dernière que la seule solution élégante était de supprimer cet examen, de le transformer en Certificat de Fin d’Etudes octroyé à tout le monde sur les bases d’un contrôle continu classique, effectué par les professeurs eux-mêmes — et basta ! Libres alors aux formations supérieures, dans le cadre de Parcoursup, de sélectionner sur dossiers qui elles veulent. Les enseignants choisiraient eux-mêmes les sujets, en fonction de leurs élèves et de ce qu’ils ont transmis à telle ou telle époque : rien, dans un programme, ne les oblige à tous procéder dans le même ordre, de sorte que cette année les élèves de Première sont confrontés souvent à des pans du programme qu’ils n’ont pas encore vus. D’où l’énorme « banque de sujets » dans lesquels les profs sont censés choisir ceux des partiels qui se passent en ce moment. Ils corrigeraient leurs propres copies — libre à eux de les sur-noter comme on les oblige à le faire depuis trente ans, ou de choisir la vérité des prix. A eux de voir s’ils veulent entretenir une dernière fois les illusions des élèves et de leurs parents, avant que les premiers ne se fracassent devant le mur des réalités du Supérieur, et que les seconds ne versent des larmes de sang et d’incompréhension devant l’échec de MonChéri-MonCœur…

Chacun sait que l'égalité entre les établissements est rompu depuis belle lurette, et que tel lycée réputé forme mieux que telle boîte à bac privée ou publique.

« Mais cela rompt l’égalité entre les établissements ! » fulminent les syndicats. Oui-da ! Elle est rompue depuis lurette, et chacun sait que tel lycée réputé forme mieux que telle boîte à bac privée ou publique. « Mais cela reviendrait à faire des Bacs d’établissements ! » Mais c’est déjà le cas, et dans les processus de recrutement, l’origine du postulant est sérieusement prise en compte. Le cachet d’origine « Henri-IV » vaudra toujours mieux que celui de Trifouillis-les-oies — sauf si ce dernier se met en tête de faire bosser sérieusement ses élèves, ce qui arrive : nombre de « petits » établissements sont tout à fait honorables, et leur succès est le fruit d’une politique managériale autoritaire (tolérance zéro) et de visées pédagogiques sérieuses — la transmission avant le confort, l’acquisition de connaissances avant la sortie scolaire.

Il y a déjà suffisamment d’incidents dans la réalisation de ces E3C, comme on dit dans le beau jargon de l’Educ-Nat, pour se saisir de ce prétexte afin de chercher une porte de sortie honorable, d’annuler la première tranche d’épreuves, et de repenser sérieusement les suivantes. À quoi bon perdre du temps, de l’énergie, beaucoup d’argent, et donner aux syndicats, qui n’en demandaient pas tant, l’occasion d’amalgamer les ratés de l’examen, qui impose aux profs une invraisemblable charge de travail dont ils ne saisissent pas la finalité, et le mécontentement des retraites — dont le Conseil constitutionnel, « taclant » le ministre, comme dit le Huffington Post, vient d’expliquer qu’elles ne pourront pas être compensées par une augmentation significative de salaire…

Camarade ministre, il faut savoir arrêter une expérience qui dégénère !

Camarade ministre, il faut savoir arrêter une expérience qui dégénère — avant qu’elle ne cristallise les mécontentements, et c’est déjà bien tard. Vous vivez un peu hors sol, rue de Grenelle (mais à vrai dire, Bercy, Beauvau, la place Vendôme — qui a tenté brièvement de rétablir le délit de blasphème, dans le cadre de l’affaire Mila — ou Matignon sont complètement hors sol). Ce qui s’entend dans les salles de profs, dans les manifestations, sur les réseaux sociaux est l’expression d’une colère qui est peut-être subjective, parfois infondée — mais qui n’en est pas moins réelle. Et ne dites pas que les enseignants fonctionnent à l’affect et à l’imagination : dans les « émotions » populaires, comme on disait autrefois pour qualifier les émeutes, l’affect et l’imaginaire finissent toujours par engendre du réel. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le Cardinal de Retz, dans ses Mémoires : les peuples, explique-t-il, « à la différence de toutes les autres sortes de puissances, peuvent, quand ils sont arrivés à un certain point, tout ce qu’ils croient pouvoir ». Il écrivait cela dans les années 1670, mais le mécanisme est toujours vrai.


PS. Chers lecteurs abonnés de Valeurs Actuelles, cela risque d’être ma dernière ou l’une de mes dernières chroniques — pour un différend financier dont je ne suis pas responsable. Je voudrais vous exprimer ma joie d’avoir communiqué avec vous, tout au long de ces années, sur le sujet de l’Ecole qui nous tient tant à cœur, d’avoir confronté ma compétence à vos avis et d’avoir si souvent été récompensé par votre approbation. Vous saurez bien me retrouver ailleurs.