Le film de la semaine: «Papicha» *** 1/2
by Éric MoreaultCRITIQUE / La réalité n’est jamais bien loin de la fiction dans «Papicha», film puissant basé sur des faits réels sélectionné à Cannes l’an passé. Mounia Meddour signe un long métrage indigné et sans compromis qui décrit la résistance d’une jeune femme (et de ses amies) contre la montée de l’intégrisme en Algérie dans les années 1990.
Nedjma (Lyna Khoudri), en études françaises, faute de mieux, aspire à devenir styliste. Le soir venu, elle s’évade de la cité universitaire avec Wassila (Shirine Boutella), sa meilleure amie, pour vendre ses robes dans les boîtes de nuit.
Dans un pays gangrené par la guerre civile et la montée en puissance d’un Islam radical, les escapades deviennent de plus en plus dangereuses. La jeune femme rêve alors d’un défilé de ses créations sur le thème du haïk, une grande pièce de tissu qui compose le vêtement traditionnel des Algériennes.
Nedjma et sa bande doivent endurer le harcèlement pressant des «des ignorants qui font n’importe quoi au nom de la religion». Qui se double du mépris et des regards concupiscents des hommes…
Le refus de la soumission se paye le prix fort — Nedjma est témoin de l’assassinat, à bout portant, de sa grande sœur journaliste. Dans ce récit d’émancipation, son désir d’organiser son défilé, envers et contre tous, prend dès lors la valeur d’un symbole fort : la reconquête de leur féminité brimée par les «barbus».
Papicha repose, en grande partie, sur la volonté de Nedjma de défier les intégristes — hommes et femmes. La réalisatrice a eu le flair de confier le rôle à Lyna Khoudri. La Franco-Algérienne avait déjà révélé l’étendue de son talent dans Les bienheureux (Sofia Djama), obtenant le prix de la meilleure actrice à la Mostra de Venise 2017, dans la section Orrizonti.
Son charisme, mais surtout son intensité, rendent encore plus poignante son interprétation de Nedjma, dont la passion de styliste transcende le simple amour de la haute-couture pour devenir œuvre de résistance.
Cette fougue, certains diraient cet absolutisme, dépasse, parfois, l’entendement. Elle aura d’ailleurs des conséquences funestes. Mais la pureté de ses sentiments ne fait aucun doute.
Papicha refuse le compromis. Pas question pour Mounia Meddour d’édulcorer son récit en décrivant la réalité de cette oppression sans nom. L’intégrisme fait des victimes — au propre comme au figuré. Le long métrage est d’ailleurs ponctué d’attentats, dans le hors-champ, mais omniprésents.
Film implacable, certes, qui secoue le spectateur et le bouleverse. Il n’en est pas moins traversé de magnifiques moments d’amitié — les filles à la plage, le défilé… Et se termine sur une douce et belle note d’espoir.
La démonstration s’avère parfois un peu lourde — Papicha n’a pas la grâce de Mustang (2015) de Deniz Gamze Ergüven, sur le même thème ; n’évite pas les clichés comme le montage «vidéoclip» sur musique et aurait gagné avec une réalisation plus ample (les cadrages sont souvent très serrés).
N’empêche. Il a le courage de ses convictions et de son ambivalence en décrivant la relation amour-haine qu’entretiennent les Algériens avec leur pays, encore rongé de nos jours par le conservatisme et l’extrémisme religieux.
Au générique
Cote : *** 1/2
Titre : Papicha
Genre : Drame
Réalisatrice : Mounia Meddour
Acteurs : Lyna Khoudri, Shirine Boutella, Amira Hilda Douaouda
Classement : Général
Durée : 1h46
On aime : la trame historique. Le refus du compromis. Des moments bouleversants. Le jeu intense de Lyna Khoudri.
On n’aime pas : certains clichés. La réalisation parfois un peu lourde.